Confession du cyber-activiste et écrivain Adama Siguiré sur ses convictions et les combats qu’il a menés contre la modification de l’article 37 de la constitution, contre le putsch de septembre 2015 et pour un Burkina vertueux. Bilan d’étape, il y a comme une grosse désillusion chez lui. "L’avenir du Burkina pour moi est sombre et triste" écrit-il sur sa page Facebook

J’ai entamé la lutte contre la modification de l’article 37 avec des leaders de la société civile et des hommes politiques à Bobo Dioulasso. Je venais aussi de commencer ma carrière d’écrivain. La radio LPC était celle-là qui nous accueillait pour commenter les marches et dire pourquoi Blaise doit quitter le pouvoir en 2015. En 2013, il y a eu la floraison des associations de la société civile, et des leaders ont voulu que je sois membre de certaines OSC. Mon refus a été catégorique. Je ne vois pas pour moi l’importance d’être membre d’une OSC. Est-ce de la méfiance ? Est-ce la revendication de ma liberté ? Je ne sais rien au juste. Mais, j’étais convaincu d’une chose : nous sommes tous engagés pour le changement et la rupture au Burkina Faso.

Pour moi, notre combat n’était pas celui contre un homme ou un groupe. Il était celui contre un système de gouvernance. Je me disais que je faisais partie de cette nouvelle génération de Burkinabè qui voulait le changement et la rupture. Et j’en étais fier. Je me disais que je faisais partie d’une nouvelle génération qui avait des rêves et qui voulait d’un autre Burkina. Oui, j’étais convaincu de cela. Et j’avais tissé des relations plus ou moins amicales avec beaucoup de personnes pour qui j’avais une grande admiration.

Je me disais qu’après Thomas SANKARA, c’est nous qui allons redresser le Burkina, c’est nous qui allons nous battre pour un ordre plus humain, respectueux du droit des Burkinabè et surtout des faibles et des pauvres. Dès 2014, les hommes politiques ont commencé à me faire la cour. On m’appelait à Ouaga 2000 pour me faire des propositions. On va te donner de l’argent pour écrire. On pourrait te nommer après notre victoire. J’étais vraiment très pauvre et j’étais dans le besoin. Mais, je me suis dit qu’accepter tout cela, ce serait trahir mes amis, ce serait trahir tous ces leaders que j’admire. Et puis, j’avais aussi ma conscience . Comment elle allait me regarder ? Je croyais en la sincérité de beaucoup d’intellectuels burkinabè et de nombreux leaders de la société civile.

"Rien ne nous empêchait donc de poursuivre nos rêves"

En 2014, nous avons chassé Blaise COMPAORE et pour moi, l’opportunité était belle pour rêver d’un autre Burkina. Nous allons instaurer un nouvel ordre politique et façonner un nouveau modèle de gouvernance. Et pour moi, la transition était bien partie pour faire tout cela. Et voilà le coup d’État de DIENDERE en septembre 2015. J’ai vu la résistance de la jeunesse, des leaders de la société civile et des intellectuels pour qui j’avais une grande admiration. Six jours sur les antennes de la radio LPC de Bobo Dioulasso comme consultant maison avec des hommes politiques et des leaders de la société civile pour appeler la jeunesse bobolaise à la résistance. Cette forfaiture ne doit aucunement passer. Et le peuple a remporté une fois de plus la victoire. Rien ne nous empêchait donc de poursuivre nos rêves d’un autre Burkina, d’une nouvelle gouvernance.

Ensuite, vinrent les élections, les hommes politiques se lancèrent à ma conquête. On veut t’intégrer parmi les leaders du Nord. Tu n’as pas à te soucier. Des appels qui pleuvent pendant que j’étais à Bobo Dioulasso . Mon refus est catégorique. Ce serait me trahir et trahir les autres leaders. Le combat a été dur et âpre. Nous ne nous sommes pas battus pour un remplacement. Nous ne nous sommes pas battus pour servir un homme ou un groupe d’hommes. Nous nous sommes battus pour servir le Burkina. Pour moi, seul le Burkina compte et non pas des individus. Et j’étais convaincu d’une chose : si nous voulons la rupture, nous devons, nous leaders, éviter la courte échelle et nous devons accepter de vivre dignement avec le peu que nous avons.

Et ROCH KABORE remporta les élections en novembre 2015 avec son MPP créé devant nous en janvier 2014. Et c’est là que j’ai commencé à comprendre les choses. C’est là que j’ai su que j’étais naïf. Je fais paraitre mon livre sur Blaise COMPAORE en janvier 2016. La dédicace a eu lieu au Centre de presse Norbert ZONGO. Toute la presse était présente. Quel succès ! La RTB fait de la présentation de mon livre la Une de son journal. Je ne m’en revenais pas. Moi, le fils de Silga, fils d’une famille pauvre inscrit à l’école à l’âge de 7 ans qui se voit ainsi propulser par les médias. Deux mois après la parution du livre, j’enregistre près de 7 mille exemplaires vendus. Pour être honnête, c’est une grosse somme. Mon frère m’aide à acheter une voiture en me disant que je suis devenu un grand et que je ne dois plus rouler avec ma moto.

"Qu’est-ce qui ne va pas ?"

Et en juillet 2016, je fais paraitre un autre livre : Burkina Faso : de la Transition à la Trahison, l’analyse d’un Résistant. Je suis surpris. En deux mois, je n’arrive pas à vendre les 1000 exemplaires du livre. La RTB fera près d’une semaine avant de présenter le livre et encore au journal des régionales à 19 h30. Certains journalistes qui ont été à la dédicace ont complètement refusé de présenter le livre. Qu’est ce qui ne va pas ? Me demandai- je. Le fils de Silga propulsé par les médias il y a six mois va t-il tomber très bas ? Je commence à avoir peur. Et dans cette peur, j’arrive à me ressaisir et à mieux lire les événements.

J’ai été, avant tout, surpris par le refus systématique de l’artiste musicien Smockey pour qui j’avais une grande admiration que j’étais allé voir pour qu’il soit le président de la cérémonie de dédicace du livre. Il m’avait donné son accord et je lui avais remis quelques exemplaires. On s’était rencontré dans son studio non loin du SIAO. Le soir de la dédicace du livre, alors que je l’attendais, il m’appelle pour me dire qu’il ne viendra pas et il ferme après son portable. Je le joins en vain. Les journalistes m’attendent. Je peux au moins compter sur mon ami Anselme SOMDA. Les dagaris et les Senoufos sont les plus honnêtes au Burkina. Je ne parle pas des Mossis. Les gourmatchés sont pires. Eux, ils sont nés menteurs. C’est génétique !!?? Je me débrouille comme je peux pour tenir la cérémonie de dédicace avec les encouragements de SOMDA, cet homme, fidèle en amitié et de mes nombreux autres amis venus au Centre de presse Norbert ZONGO.

"J’étais naïf"

Mes yeux commencent à s’ouvrir dès lors. J’étais naïf. J’avais placé des hommes et des femmes très haut. C’est peut-être le défaut du Yadega que je suis. J’assiste alors au changement des vestes et à la mutation des hommes. Je comprendrai mieux les choses à partir de 2018. Je me faisais des illusions. Pendant que moi, je refusais la cour des politiciens, les gens prenaient leur argent et promettaient de se battre pour les soutenir. Plusieurs organisations de la société civile ont été montées, de toutes pièces, par ces hommes politiques. Si le livre contre Blaise a eu un grand succès, c’est parce que beaucoup de gens comme les politiciens luttaient contre Blaise. Leur seul objectif était le départ de cet homme devenu leur ennemi. Je comprends alors la force de l’argent et le machiavélisme des hommes politiques.

Je réalise que tous ces intellectuels qui écrivaient dans les journaux, qui analysaient sur les plateaux de télévisions étaient bien à la solde d’un groupuscule. C’était la lutte par procuration. Les hommes politiques avec leurs milliards ont su engagé des citoyens pour mener leur combat. Le marigot se décante à partir de 2018. Certains leaders de la société civile ne veulent plus me voir. Des gens qui m’avaient soutenu se montrent moins enclins à me soutenir. C’est comme si l’on me disait : " pourquoi tu continues les critiques, pourquoi tu es dur avec les dirigeants. Nous avons lutté pour eux et toi, tu ne veux rien comprendre".

Beaucoup de Burkinabè sont moins cher que des poulets

Je suis arrivé à une conclusion. Beaucoup de Burkinabè sont moins cher que des poulets. Beaucoup de Burkinabè sont incapables de tenir dans la dignité et d’accepter de modestes conditions de vie. Mon frère avec qui je vivais se moquait souvent de moi en disant :" Vous, vous ne serez jamais comme SANKARA parce que vous aimez trop l’argent et le luxe".

Je lui donne parfaitement raison. Aujourd’hui, je ne vois aucun espoir pour ce pays.Oui, je suis pessimiste et j’ai mes raisons de l’être. L’avenir du Burkina pour moi est sombre et triste. C’est mon point de vue. Je ne vois aucune lueur d’espoir à l’horizon. Ceux qui pouvaient défendre les masses ont montré qu’ils ont un prix. Ce qui les pousse au combat, c’est la pauvreté et les dures conditions de vie. Ils se taisent devant l’argent, les honneurs et les avantages. Un ami à qui je m’ouvrais m’a dit en 2019 : "Je te disais d’accepter les propositions des hommes politiques pour te faire de l’argent. Tu as cru en une vertu qui n’existe pas dans ce pays".
Effectivement, j’ai cru en une vertu qui n’existe pas. Mais, je ne regrette rien. On apprend toujours dans la vie. Du reste, j’ai été naïf, mais je suis fier d’avoir cru à un idéal et de n’avoir jamais trahi mes convictions .

L’avenir nous dira la vérité. Longue vie à tous.

Adama Siguiré
Ecrivain