Le 16 février, le lieutenant colonel Paul Henri Damiba prêtera serment devant le conseil constitutionnel et sera investi en tant que président du Faso. Une décision du conseil constitutionnel pour le moins déroutante pour nombre de Burkinabè, dont l’écrivain Adama Siguiré, qui se demandent pourquoi celui qui a pris le pouvoir par un coup d’Etat le 24 janvier doit-il être investi comme président du Faso alors qu’il n’a pas été élu démocratiquement.

J’ai pris tout mon temps pour écrire une lettre ouverte au Président DAMIBA le soir du 10 février 2022, et j’ai enregistré cette lettre ouverte dans mon brouillon pour bien la corriger avant de la publier le 11 février 2022. Et la lettre a disparu comme par miracle. Certainement que c’est moi qui ne maîtrise pas les choses.

Et l’expérience m’a montré qu’il faut accepter les choses comme elles arrivent sans trop se plaindre. Je ressentais d’ailleurs une certaine douleur au cœur en écrivant cette lettre, car je me disais que cette sortie était précipitée. L’objet de la lettre portait sur la prestation de serment du lieutenant Colonel DAMIBA devant les juges du Conseil Constitutionnel. J’aurais bien voulu me taire sur ce sujet, mais je trouve que ce serait un silence coupable et l’histoire retiendra ce que chacun a fait. Je précise que je ne suis ni juriste encore moins un constitutionnaliste. Mais, mon rationalisme me permet de saisir les bases de la pensée par le raisonnement syllogistique.

On peut laver un habit sale pour lui permettre de briller dans sa couleur d’origine, sans le dénaturer, mais il est difficile de changer la couleur de cet habit sans le dénaturer. C’est comme la dépigmentation chez les femmes. Chaque peau est belle dans sa nature à condition de savoir bien l’entretenir, mais aucun entretien ne permet à une peau dépigmentée d’être naturellement belle. Quand le Conseil Constitutionnel annonce urbi et orbi la prestation de serment du lieutenant colonel DAMIBA pour le 16 février, je me pose beaucoup de questions. Allons-nous recommencer les mêmes erreurs de 2014 qui nous ont conduits à l’impasse ? Allons-nous encore être de mauvaise foi au nom de nos intérêts pour pousser DAMIBA dans des erreurs ? Personnellement, je me sens souvent coupable dans les erreurs de la transition en 2014.

Après le départ de Blaise COMPAORÉ, aveuglé par la passion, j’ai soutenu le faux qui arrangeait plus les hommes politiques que la Nation. Aujourd’hui, je le regrette et j’ai pris la décision de ne plus soutenir un homme ou un groupe d’hommes, mais de soutenir ce que je pense être juste et bien. Beaucoup d’intellectuels se taisent aujourd’hui sur la prestation de serment de DAMIBA parce qu’ils attendent des postes dans le MPSR et ils ne voudraient pas égratigner les militaires. Je pouvais, moi aussi, me taire. Je sais, moi aussi, me taire au nom de mes intérêts. Mais, que dira ma conscience ? Joseph KI ZERBO disait : "on peut échapper à tous les tribunaux de la vie, mais on ne peut pas échapper au tribunal de la conscience".
Et le rôle de l’intellectuel n’est pas de plaire, mais d’aller à la conquête de la vérité.

La prestation de serment du colonel DAMIBA le 16 février pose un problème de forme. Sur la base de quel texte CONSTITUTIONNEL le Conseil Constitutionnel va recevoir la prestation de serment de DAMIBA ? J’ai lu et relu la Constitution et je n’ai trouvé aucun article qui donne cette compétence au Conseil CONSTITUTIONNEL. C’est donc le juridisme d’un soir, certainement de façade qui conduit le président DAMIBA dans une grave erreur. Le Conseil Constitutionnel n’a aucun pouvoir juridique qui va au-delà de la constitution. En recevant la prestation de serment de DAMIBA, le Conseil s’arroge un pouvoir anticonstitutionnel au nom de l’intérêt du moment. Voilà ce qui est grave.

Quant au colonel DAMIBA, il gagnerait en s’entourant très vite des conseils d’hommes et de femmes sans grande passion et qui peuvent dire la vérité à un chef, à un dirigeant. Il faudrait qu’il sache que les Burkinabè n’ont pas l’habitude de dire la vérité à un dirigeant. Ils le poussent généralement à commettre des erreurs au nom de leurs intérêts. Ils l’ont fait avec Blaise et Roch, et DAMIBA risque de se laisser induire en erreurs par la mauvaise foi des intellectuels burkinabè. Et pourtant, il lui faut du réalisme pour réussir sa mission. Ce pouvoir de la transition n’a pas besoin d’un juridisme de façade et encore de mauvais goût. Le lieutenant colonel DAMIBA doit rentrer dans l’histoire par ses faits et ses actes comme Thomas SANKARA et non pas par la grande porte du Conseil Constitutionnel. Comment le Conseil va recevoir la prestation de serment d’un président dont la venue au pouvoir n’a pas été validée par ses juges ?

Le lieutenant colonel DAMIBA doit faire la part des choses:il y a le fait et le droit. Son pouvoir est reconnu par le fait, car il trouve sa légitimité dans l’échec d’un pouvoir dit démocratique,celui de Roch et c’est dans les faits que les Burkinabè vont juger DAMIBA. Cet attachement au juridisme d’un soir fabriqué de toutes pièces par le Conseil Constitutionnel pose un problème d’éthique. Pourquoi cette parade juridique qui n’honore pas son pouvoir et qui ne change rien de fait ? C’est une grosse erreur et le raisonnement syllogistique nous pousse à croire que la conclusion sera fausse quand les prémisses ne s’accordent pas.C’est pour dire que DAMIBA s’inscrit dans l’illogique logique qui serait difficile à soutenir et à valider par la raison et la bonne foi.

Les erreurs de 2014 ont conduit au coup d’État du 24 janvier 2022. DAMIBA doit s’en souvenir et il ne doit pas forcer les textes législatifs. Il peut d’ailleurs bien réussir sa mission sans ce juridisme malsain. La prestation de serment n’a pas sauvé Roch KABORE élu par des élections, et je crois que la prestation de serment ne saurait être un quelconque gage pour le pouvoir de DAMIBA. Peut-être que, comme au temps du régime KABORE, nous ne serons pas écoutés, mais c’est un devoir de conscience.Nous n’allons pas cautionner les erreurs qui, tôt ou tard, vont nous rattraper. Le souci de DAMIBA devrait être ailleurs et il ne doit pas se laisser induire en erreur par le Conseil Constitutionnel. Nos présidents ont toujours manqué de bons conseillers, et DAMIBA doit les chercher s’il veut réussir sa mission..

C’est mon point de vue. Je ne pouvais pas me taire sur ce sujet. Ce serait être complice du faux.

Adama SIGUIRE
Écrivain Professionnel/ Consultant en relations humaines.