Près de quatre (4) heures ! C’est le temps qu’a duré le débat de très bonne qualité organisé le 30 juin dernier dans l’amphithéâtre de l’Université privé de Ouagadougou (UPO) dans le 10è arrondissement, autour d’un thème devenu une des préoccupations majeures des Burkinabè : « la réconciliation comme solution à la crise multidimensionnelle et la rupture de la paix au Burkina Faso : les solutions du droit et des juristes, des jeunes, des acteurs socio-culturels et des médias ».

Initié par le bureau des étudiants de l’UPO, un établissement d’enseignement supérieur spécialement dédié au droit et l’Appel de Manéga, le débat a été animé par cinq panélistes : Youcef Ouédraogo, journaliste formateur et auteur d’un livre récemment publié sur le rôle des médias dans les crises socio-politiques en Afrique, Dramane Konaté, écrivain et activiste bien connu dans la promotion des cultures endogènes, Alexandre Sankara, homme politique, ancien député et candidat des Progressistes unis pour le renouveau (PUR) lors de la présidentielle de novembre 2020, Siaka Coulibaly, juriste et analyste politique, Lookman Sawadogo, journaliste et secrétaire général de l’Appel de Manéga.
Fondateur du Groupe scolaire l’Académie, directeur de la Radio des écoles et chroniqueur média, André Eugène Ilboudo a assuré la police des débats.

Pour Youcef Ouédraogo, la question de la réconciliation nationale dans notre pays divise les Burkinabè. Pour certains, on ne saurait parler de réconciliation nationale parce qu’il n’y a pas eu de de guerre civile comme ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire, au Rwanda ou en Algérie. Pour d’autres, les Burkinabè ont vécu et vivent toujours des fractures politiques et sociales profondes qui justifient qu’ils se réconcilient.
Dans tous les cas, il faut se parler pour vider les haines et rancœurs qui se sont sédimentées au fil du temps. Dans cette optique, les médias ont un rôle central à jouer, sachant que les contenus qu’ils diffusent ont un impact sur les populations. Les médias y sont largement pour quelque chose dans les drames qu’ont connus des pays comme le Rwanda, le Liberia ou la Côte d’Ivoire. « Les médias doivent appuyer les efforts visant à consolider la paix et éviter la promotion de messages stigmatisant ou appelant à la violence », conseille-t-il, allusion aux violences qui ont accompagné l’insurrection populaire d’octobre 2014 et aux propos haineux récemment diffusés sur les réseaux ciblant une communauté comme coupable des actes terroristes qui endeuillent notre pays. Alors que la confiance des gouvernés envers les gouvernants ne cesse de s’effriter, qu’il manque des leaders pour fédérer les Burkinabè, Youcef Ouédraogo croit dur comme fer qu’il est encore possible de cimenter l’unité nationale dès lors que les médias produisent des émissions à grande diffusion en s’appuyant sur la parentée à plaisanterie et qu’ils véhiculent des informations de sources fiables.

« Nous sommes dans l’éveil des consciences depuis une vingtaine d’années », clame d’entée, Dramane Konaté, l’homme de culture pour qui les textes juridiques importés sont peu d’utilité dans la résolution des problèmes africains. Pour lui, l’activation des mécanismes endogènes offre plus de chance de réussir la réconciliation nationale à l’image des voies empruntées par l’Afrique du Sud et le Rwanda. Il regrette la « mésintelligence de la classe politique » et les coups d’Etat à répétition qui ont sapé les fondements du vivre-ensemble. Paraphrasant la proclamation de l’UNESCO selon laquelle, c’est dans les esprits des hommes que naissent les guerres et que c’est également dans les esprits que doivent être élevées les défenses de la paix, Dramane Konaté dénonce « l’ethnicisme et l’ethno-centrisme », expression d’une méconnaissance de l’altérité qui conduit à la fabrication de l’ennemi.
L’anxiété culturelle, souligne-t-il, fait le lit des tensions et des salissures sociales (viol délinquance). L’explosion démographique face à la raréfaction des terres, l’école qui produit des déchets scolaires, les conflits intergénérationnels, la misère d’une partie de la population qui côtoie l’opulence d’une minorité, la revendication permanente des droits et jamais l’acceptation des devoirs, autant de maux qui minent la cohésion sociale. « La paix est menacée lorsque l’ordre des valeurs est bouleversé », conclut celui qui milite pour la création d’un Panthéon, ce qu’il appelle « La Grande case des immortels du Burkina Faso » où seront immortalisés tous ceux qui se sont battus pour que nous soyons ce que nous sommes aujourd’hui.

Prenant la parole, l’ex député Alexandre Sankara a rappelé que si la réconciliation est à nouveau à l’ordre du jour, c’est que les tentatives passées ont échoué et il faut bien analyser les causes de ces échecs pour éviter d’en commettre. Pour lui, le chemin de la vraie réconciliation, celle qui prend en compte l’ensemble des conflits et drames que les Burkinabè ont vécus, passe par le triptyque « Vérité, justice et réconciliation ».
Il énumère au moins six (6) conflits qui opposent les Burkinabè les uns aux autres.
Les conflits politiques avec les coups d’Etat et les conséquences qu’ils ont engendrés (145 dossiers de crimes de sang, 106 dossiers d’atteinte à l’intégrité physique de Burkinabè) ; les conflits communautaires (religieux, ethniques, coutumiers) ; les conflits fonciers ; les actes terroristes dans lesquels sont impliqués des Burkinabè ; les conflits administratifs ; la mal gouvernance avec des régions oubliées dans les plans de développement.
De tous ces conflits, seuls les conflits politiques cristallisent les passions, les hommes politiques étant pointés du doigt comme étant les coupables. Or, explique-t-il, les hommes politiques ne sont que les produits de la société burkinabè et c’est à tort qu’on leur impute exclusivement les malheurs de notre pays.
Sa conviction est toutefois établie : la reconnaissance de sa faute par le bourreau garantit la réconciliation avec la victime. « Pourquoi a-t-il fallu attendre 2015 pour découvrir que Dabo Boukari, qui a été assassiné en 1991, est enterré dans les encablures de Pô ? », s’est-il demandé, alors que selon lui, « la vérité sur ce qui lui est arrivé aurait permis à sa famille de faire son deuil ? ».

« Que fait-on maintenant, parce qu’on a déjà diagnostiqué les causes de nos crises ? » interroge Lookman Sawadogo, secrétaire général de l’Appel de Manéga.
La société, explique-t-il, a un corps et une âme et celle de la société burkinabè est troublée, d’où l’instabilité chronique dans notre pays avec les coups d’Etat permanents. La popularité subite de l’élève de troisième, auteur de l’expression « Bongal » n’est que l’illustration parfaite d’une société en crise. D’où l’urgence d’imaginer les mécanismes qui nous permettront de panser les plaies du passé tout en nous projetant dans un avenir partagé. C’est le sens du prix de l’Appel de Manéga décerné cette année à Blaise Compaoré et à Roch Marc Christian Kaboré, une distinction pas toujours bien comprise. Interpellé, celui qui anime aussi l’émission hebdomadaire « Pesse Echos » sur BF1 a expliqué que l’attribution du prix à ces deux personnalités ne vise pas à récompenser leurs contributions passées à la réconciliation, mais sur leur potentiel à faciliter la réconciliation des Burkinabè.
A l’image du « Prix Nobel de la paix » attribué à Barack Obama en octobre 2009 « pour ses efforts extraordinaires en faveur du renforcement de la diplomatie et de la coopération », alors qu’il avait seulement pris fonction début janvier de la même année.

Le dernier panéliste, Siaka Coulibaly a traité de la réconciliation sous l’angle du droit et des juristes. Autrement dit, que dit le droit sur ce sujet qui s’est imposé aux pouvoirs publics et aux citoyens burkinabè ? Selon lui, la réconciliation n’est pas un thème privilégié du droit car pour les juristes, ce qui importe, c’est la légalité des actes et des institutions. « Si quelqu’un commet un délit ou un crime, il suffit d’appliquer ce que prévoit le droit. Etablir sa culpabilité et prononcer la sanction prévue. C’est tout », explique-t-il. Pour l’avènement d’une société réconciliée et refondée, il estime qu’il importe dans un premier temps d’adopter des actes pour corriger ce qui a causé la rupture de la paix et dans un deuxième temps, pour empêcher de futurs dysfonctionnements dans la société. A quoi, il faut approfondir la décentralisation dont une des vertus est de « désactiver le terrorisme ». Parlant de nos régions, Dramane Konaté est scandalisé qu’elles n’aient pas d’identité. « Il faut nommer nos régions et leur donner une identité qui corresponde à notre histoire et à notre culture », a-t-il martelé.
Les questions et débats suscités dans l’assistance par les panélistes ont montré une jeunesse estudiantine attentive à la question liée à la gouvernance générale et aux batailles politiques dans notre pays.
Comment réprimer les actes de stigmatisation ? demande un étudiant quand son camarade s’interroge sur le rôle de la justice dans la réconciliation, allusion au procès du dossier Thomas Sankara. « Est-il possible de changer l’homme politique burkinabè, sachant qu’il est impliqué dans tous les problèmes que connait notre pays ? ».
Alors qu’elles représentent 52% de la population, quel peut être le rôle des femmes dans la quête d’une réconciliation nationale ? Peut-on espérer l’avènement d’une réconciliation des fils et filles du Burkina sous l’impulsion du régime dirigé par Paul Henri Sandaogo Damiba, lui a décidé d’un dialogue avec les groupes terroristes ? Quelle est la différence entre terrorisme, rébellion et sécession ?
Autant de questions auxquelles chacun des panélistes a apporté des compléments d’informations, à charge pour ceux qui représentent l’avenir du pays de poursuivre la réflexion dans tous les espaces publics qu’offre la république.

Joachim Vokouma
Kaceto.net