Dans un communiqué publié le 8 juillet 2023, le ministre de la Communication, des télécommunications et de l’économie numérique du Sénégal, Me Moussa Bokar Thiam dénonçait "la couverture médiatique tendancieuse" de l’actualité au Sénégal par la chaine France24.
Un avis partagé par l’auteur du texte ci-contre qui y décèle la "mille collinisation" rampante de la chaine publique française dans le traitement de l’information au Sénégal.
La radio des Milles collines vous connaissez ?
Peut-être que oui, peut-être que non ! je vais tout de même me risquer à vous narrer une partie de l’histoire. Il était une fois, il n’y a pas très longtemps, une radio, ce n’était qu’une radio, s’était faite porte-voix des frustrations, rancunes et autres ambitions politiques dans un pays en montant les populations les unes contres les autres sur des bases « ethniques », culturelles et parfois même religieuses. Le chaos avait fini par s’installer, les tueries, pillages, viols rythmèrent la vie des populations pendant 100 jours faisant environ un million de morts. Vous avez maintenant compris, il s’agit du Rwanda où la Radio des Mille collines a été une des opératrices stratégiques du génocide de 1994 . Un « génocide qu’on aurait pu éviter », comme le regrette amèrement le « Rapport du groupe international d’éminentes personnalités pour enquêter sur le génocide de 1994 au Rwanda et ses conséquences », produit pour le compte l’Union africaine.
Mais le fait c’est qu’il s’est produit et que les Mille collines y ont joué un rôle prépondérant. Dans la chasse aux « cafards » les Tutsi et les Hutu modérés, les génocidaire tenaient d’une main le poste radio émettant des Mille collines et de l’autres la machette. La radio les orientait vers leurs victimes. Il faut se recueillir à Nyamata, Murambi, Bisereso ou visiter le mémorial de Gisozi pour se rendre compte des souffrances subies par le peuple Rwandais et des méfaits d’une communication tendancieuse.
Comparaison n’étant pas raison, loin de moi l’idée que France 24 soit dans l’apologie d’un génocide. Il est clair cependant qu’elle se met au service du chaos pas seulement au Sénégal, mais dans tout le Sahel et plus particulièrement dans l’espace francophone.
Au Sénégal une chaine de télévision (Walf TV) qui se complaisait dans cet exercice a perdu plusieurs fois son signal et les réseaux sociaux qui étaient dans cette dynamique ont subi le même sort. Il s’agit d’acteurs locaux auxquels des solutions locales ont étés apportées.
Mais comparés à France 24, qui est une propriété de l’État français au sein du groupe « France Médias Monde », avec sa puissance de frappe, nous sommes dans une autre dimension. Pour faire bref, c’est la voix de la France et la ligne éditoriale est celle de la France. En conséquence ce que fait France 24 reflète les choix stratégiques de la France et force est de constater, avec amertume en ce qui me concerne, qu’elle se trompe lourdement.
Je ne vais pas revenir sur les postures et attitudes de certains anciens ambassadeurs de France au Sénégal, qui se croyaient encore en colonie, mais il est clair que la voix de la France au Sénégal, en Afrique en général, est tendancieuse pour ne pas dire fallacieuse.
C’est une lapalissade que de dire que le Sénégal a traversé des zones de turbulence ces dernières années et que les confrontations politiques ont pris une dimension jusqu’ici inconnues avec des violences, des destructions et des stigmatisations inédites. Des expressions extrêmement violentes comme le « mortel combat , « France dégage » ou l’aversion linguistique « l’Homme est son parent » empruntées au langage de la rue ont été portées par les sous-élites politiques qui ne sont porteuses d’aucun idéal programmatique.
Les dégâts considérables sur les équipements publics, les incendies dans les universités, les pillages des grandes surfaces, Auchan en particulier, les brasiers qui détruisent l’asphalte des routes bitumées, etc., s’ils traduisent parfois une frustration, sont bien moins spontanés que ce que l’on veut bien nous faire croire. Les agendas politiques sont de plus en plus clairs et il ne fait pas de doute que l’État du Sénégal, les Sénégalais en général, ont pris la plaine mesure des enjeux et apporteront les mesures correctives qui s’imposent.
C’est dans ce contexte que le positionnement de France 24, un mixte entre le paternalisme, l’altérité et le messianisme impérial, interpelle. Les banlieues françaises flambent depuis des années en raison d’une politique d’exclusion institutionnalisée, quel média africain en a fait ses choux gras ? La France a été expulsée du Burkina Faso, du Mali et le sera peut-être bientôt dans d’autres pays africains. Il lui faut donc savoir lire le temps du monde et en tirer les enseignements.
Pour en revenir au Sénégal, le communiqué du Ministre de la Communication, des Télécommunications et de l’Économie numérique a recadré le média français et fixé la ligne rouge. Trop c’est trop et il faut siffler la fin de la récréation. « La bêtise en tenue de samedi soir » sur les plateaux de France 24 où des experts en tout, avec de doctes pensées qui infantilisent l’Afrique, avec parfois l’apports de quelques Africains, très souvent des enfants naturels des politiques d’ajustement, doit cesser. Ce que le Ministre sait et que France Média Monde sait , les émetteurs de RFI sont logés dans les centres émetteurs de TDS SA, la société publique de Télédiffusion du Sénégal . France 24 et RFI sont des entités sous tutelle de France Média Monde.
Pr Hamady Bocoum
Directeur général du Musée des Civilisations noires
Dakar / Sénégal
Directeur de Recherche titulaire
Classe exceptionnelle
Membre de l’Académie nationale des sciences
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