L’auteure de la tribune ci-contre est bien connue pour ses positions sans concession quant il s’agit de défendre des causes qui sont chères. S’exprimant sur la crise qui nous frappe avec des conséquences sur le climat social, elle estime qu’ "aujourd’hui, les Burkinabè sont pris en otage entre deux terreurs : celle des terroristes islamistes qui chassent, pillent, violent et tuent nos parents dans les villages et celle exercée par les militaires putschistes et leurs supporteurs zélés".

Avant toute chose, je rends hommage au vaillant Peuple Burkinabé qui résiste et lutte courageusement contre la barbarie djihadiste, les manœuvres de l’impérialisme, la corruption des élites compradore. Je rends également hommage aux forces de défense et de sécurité (FDS) qui n’ont pas fui le front et qui, au prix de leur vie défendent la patrie, notre cher Burkina Faso dans la dignité et dans le respect des lois et de leur serment, loin des intrigues politiciennes et du cynisme autocratique d’une junte déterminée à s’accrocher au pouvoir.
Non à la confiscation des luttes du peuple Burkinabé.
Dans quelques jours, nous commémorons le 31 octobre. En effet, cela fera neuf (9) ans que le peuple Burkinabè a chassé le dictateur Blaise Compaoré qui s’est réfugié en Côte d’Ivoire. Nous avions enfin retrouvé notre liberté. Hommage aux martyr.es qui sont tombé.es ou ont été blessé.es sur le champ de bataille. Et bravo au vaillant peuple burkinabè qui est resté vigilant par la suite et a démontré sa détermination à défendre ses droits et sa liberté en mettant en échec la tentative de Coup d’État perpétrée par le Général félon Diendéré en 2015.
Mais qui eut cru que, neuf (9) ans après l’insurrection populaire victorieuse de 2014 et huit (9) ans après la résistance anti-putschiste victorieuse de 2015, nos libertés chèrement acquises dans le sang seraient remises en cause et confisquées par des militaires putschistes avec l’aide de civils opportunistes qui se sont vendu.es à eux et sont devenu.es leurs griots et miliciens zélés ? Qui aurait pu imaginer que 8 ans après la dissolution du RSP, la milice du dictateur Blaise Compaoré, un autre militaire putschiste créerait une milice et des escadrons de la mort qui enlèvent, torturent et tuent d’autres militaires et des citoyens sur le simple fait de soupçon et/ou d’expression d’opinions divergentes ? Cela montre que la lutte pour les droits et libertés est une lutte permanente et perpétuelle.
Non à la censure, l’intimidation et les menaces de mort contre les voix critiques et non au crime de faciès et à la complicité d’ethnocide !
Aujourd’hui, les Burkinabè sont pris en otage entre deux terreurs : celle des terroristes islamistes qui chassent, pillent, violent et tuent nos parents dans les villages et celle exercée par les militaires putschistes et leurs supporteurs zélés sur toute personne qui ose émettre des avis contraires et exprimer des positions critiques vis-à-vis de la junte.
Sur ce point, c’est triste d’entendre ou de lire des personnes qui avaient fui les violences politiques pour se réfugier dans d’autres pays, appeler maintenant à des arrestations, au meurtre ou à l’instauration de la peine de mort contre ceux et celles qui critiquent ou s’opposent à la junte putschiste .
Cela, nous ne devons pas le permettre. Toute vie humaine est sacrée et celui qui porte atteinte à la vie d’autrui en paiera le prix tôt ou tard. Le fait que notre pays a connu tant de crimes politiques et que nous nous sommes toujours battu-es contre l’impunité (voir l’exemple récent de Blaise Compaoré, les procès sur l’assassinat du Président Thomas Sankara et ses Compagnons et de Dabo Boukari) devraient nous éduquer et nous sensibiliser à l’importance de préserver la vie humaine, quelles que soient nos divergences d’opinions.
Par ailleurs, sur la simple base de leur ethnicité, nos sœurs et frères Peulhs innocent-es sont victimes de toutes sortes d’amalgames et sont criminalisé-es, déshumanisé-es, ostracisé-es, tué-es et massacré-es juste à cause de leurs origines et de leur faciès, dans l’indifférence de la majorité de la population.
C’est ainsi que nous sommes actuellement en train d’assister à un ethnocide qui risque de se transformer en un véritable génocide. En effet, plus la junte au pouvoir sera incapable de mettre fin au terrorisme djihadiste, plus, nous assisterons à la criminalisation et la diabolisation des Peulhs pour justifier et légitimer les pires formes de punition collective qui leur sont infligées.
Se taire et ne rien entreprendre pour empêcher cette dérive tribaliste meurtrière c’est se rendre complice d’ethnocide. Comme le disait Desmond Tutu : « Celui qui reste neutre devant l’injustice a choisi le camp de l’oppresseur. » Desmond Tutu.
Un État ne doit pas agir comme des terroristes
Les supporters de la junte et certaines personnes justifient les punitions collectives par le fait que les terroristes tuent aussi. Je ne le nie pas, bien au contraire. En fait, j’en suis consciente, car mes parents au Nayala, à la Kossi et au Sourou vivent les effets néfastes du terrorisme et nos maisons familiales à Toma et Nouna sont remplies de personnes déplacées. Je ne peux même pas partir à Nouna où j’ai grandi et où sont enterrés mes parents, à cause du blocus imposé par les terroristes djihadistes. Les déplacements sur Toma sont fortement déconseillés à cause de la pression des terroristes. Cependant, les forces de sécurité (FDS) étatiques ne peuvent et ne doivent pas agir comme les terroristes, car elles sont tenues d’agir en respect des lois nationales et conventions internationales et dans le respect de l’État de droit et des droits humains.
En outre, il ne faut pas perdre de vue le fait que, politiquement, la violence d’État qui ne s’exerce pas selon ces principes et conventions appelle la violence vengeresse des victimes ou de leurs familles et descendants, ce qui nous entraîne dans un cycle infernal de violence sans fin.
L’histoire sera le dernier juge
Lorsque nous manifestions à l’époque pour exiger la Vérité et la Justice dans le cas de l’assassinat horrible du journaliste Norbert Zongo, rappelez-vous que le professeur Joseph Ki-Zerbo disait toujours qu’il y a trois justices : celles des Hommes, celle de la Conscience et celle de Dieu. Moi j’y ajouterais celle de l’Histoire. Il disait qu’on ne peut pas échapper à toutes ces justices. Effectivement, on a tous bien vu que Blaise Compaoré et son frère François Compaoré ont été condamnés par ces quatre justices : la Justice des Burkinabè les ont reconnus et jugés coupables, le peuple les ont chassés et jetés dans les oubliettes de l’Histoire, et lorsqu’ils fuyaient le 31 octobre 2014, ils faisaient certainement face à leur conscience. À leur mort, les Ancêtres se chargeront d’eux.
Ibrahim Traoré qui semble avoir choisi la voie d’un pouvoir totalitaire devrait se rappeler la fin du dictateur Blaise Compaoré. L’Histoire nous enseigne que personne n’est éternellement le plus fort et que tout pouvoir a une fin. Il paiera tôt ou tard pour les stigmatisations, les enlèvements, les enrôlements forcés, les humiliations et les assassinats d’autres Burkinabè.
J’invite les victimes encore vivantes et les familles des personnes qui sont enlevées ou ont été assassinées à documenter tous les cas de violations des droits humains dont elles ou leurs proches ont été ou sont victimes. Archivons les écrits et vidéos publiés sur les réseaux sociaux appelant à des agressions physiques, aux atteintes à la vie privée, aux enrôlements forcés, aux meurtres. Tôt ou tard les tribunaux nationaux et internationaux seront saisis et les commanditaires ainsi que les bourreaux paieront. Comme le dit la sagesse populaire « Quelle que soit la longueur de la nuit, le jour se lèvera ».
Mauvaise copie ne fera jamais un original, mais restera toujours un faux ridicule
Ceux et celles qui comparent Ibrahim Traoré à Thomas Sankara se trompent et le trompent également. Répéter les slogans et imiter le gestuel de Sankara jusqu’à la caricature ne suffisent pas à faire de vous un leader révolutionnaire.
Sankara était un homme intègre, honnête et humble qui combattait le népotisme, la mal-gouvernance, la corruption, le mensonge, le népotisme, l’obscurantisme, le sexisme et n’était pas arrogant. Il était très détaché du matériel, du luxe. Il était très bien formé idéologiquement et très cultivé. Il ne favorisait pas la promotion de ses parents dans l’administration ou dans les affaires étatiques. Malheureusement, tous ces maux que Sankara combattait sans compromis se retrouvent en concentré chez Ibrahim Traoré.
Pire encore, rappelons qu’une des premières victimes de Ibrahim Traoré et de son entourage fut la veuve de Sankara qui n’a pas pu assister au ré-enterrement de son mari. Mariam Sankara a été ignorée, méprisée et humiliée sous les ricanements, les applaudissements et les moqueries des ancien-nes camarades de Sankara et de celles et ceux qui prétendent être ses héritières et héritiers.
C’est l’utilisation hypocrite de la rhétorique pseudo-anti-impérialiste et de la démagogie pseudo-panafricaniste pour masquer les contradictions et la faillite morale de certaines personnes qui ont amené le Dr. Seydou Ras-Blaga à créer la formule « Sankara partout et Sankara nul part » pour résumer le fait que le nom de Sankara est devenu un fonds de commerce dont tous les dictateurs et leurs griots se servent sans vergogne pour légitimer leur pouvoir.
Non à la censure, à l’intimidation et aux menaces de mort contre le mouvement syndical :
Ibrahim Traoré est parvenu au pouvoir par le mensonge et la manipulation. Il s’y maintient par la répression, les assassinats, la confiscation des droits et libertés, la propagande et le mensonge. Ses soutiens menacent à visage découvert toute personne qui ose critiquer son régime. L’exemple de machettes et de lance-pierres et de messages haineux appelant à l’agression des dirigeants de la centrale syndicale CGTB avec le silence complice des autorités est là pour le prouver s’il en était encore besoin.
Mais nous ne devons pas laisser faire. Ibrahim Traoré sera personnellement tenu responsable de ce qui arrivera à ces dirigeants syndicaux honnêtes qui n’ont fait qu’exprimer leurs opinions. J’exprime tout mon soutien à la CGTB et aux travailleuses et travailleurs Burkinabé. Battons-nous pour que le Burkina ne soit pas un état totalitaire, antisyndical, anti-libertés et anti-droits !
Les civils opportunistes et les panafricanistes cyniques qui pour des intérêts égoïstes accompagnent et soutiennent les militaires putschistes dans la répression, la confiscation des libertés et la remise en cause de l’état de droit paieront tôt ou tard, car un dictateur n’a pas d’amis. Comme le disait Norbert Zongo, « Les peuples comme les hommes finissent toujours par payer leurs compromissions politiques : avec des larmes parfois, du sang souvent, mais toujours dans la douleur. »
Quant aux intellectuels qui ont aidé les deux régimes putschistes (MPSR I et II) à rédiger leur acte fondamental, ainsi que les membres du Conseil constitutionnel qui étaient censés défendre la constitution, mais qui dans le déshonneur l’ont piétinée et se sont courbés devant des putschistes, sont tous et toutes en partie responsables des dérives actuelles de la junte militaire. Ils et elles répondront devant l’Histoire de la trahison de leur serment.

Pour une transition civile et l’union des vraies patriotes et progressistes burkinabé.

Devant les dérives totalitaires des militaires putschistes, j’appelle à une transition civile qui sera gérée par de vrai-es patriotes intègres, panafricanistes et démocrates qui ont à cœur l’intérêt général du pays, car cette guerre contre le terrorisme ne se gagnera pas sur le front militaire comme l’exemple de l’Afghanistan nous le démontre clairement. Les militaires ne sont pas la solution, car non seulement, ils font partie des régimes corrompus et incompétents qui nous ont menés dans cette crise, mais aussi leur mode de fonctionnement clanique et la paranoïa permanente qui leur fait voir ou imaginer des coups d’État partout et tout le temps. Cela fait en sorte que notre armée est aujourd’hui minée par des divisions internes graves qui ont fait en sorte que les priorités de la hiérarchie militaire sont devenues la préservation de sa vie et de ses intérêts et privilèges de classe, au détriment de la sécurité du reste des troupes et de la population civile.
Or, une armée divisée (ou un peuple divisé) ne peut pas vaincre l’ennemi. De plus, le Burkina doit éviter à tout prix le scénario qui se déroule actuellement au Soudan où des fractions de militaires putschistes ont pris le pays et le peuple en otage. Il existe des civils intègres, patriotes et panafricanistes qui ont à cœur le bien-être de tous les Burkinabés et la sauvegarde de l’intégrité territoriale. C’est à elles et eux de prendre les choses en main. Cette transition civile doit avoir un contrat social très clair fondé sur la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption et le tribalisme et la fin de l’impunité, car les causes profondes du terrorisme sont la mal gouvernance, la corruption, les conflits intercommunautaires et l’impunité. Mais en plus, il faudra réaliser la vision d’égalité et d’équité entre hommes et femmes, filles et garçons, jeunes et adultes, travailleurs et employeurs, populations rurales et populations urbaines qui ont toujours été à la base des revendications et des luttes du vaillant peuple Burkinabé depuis des décennies.
À l’occasion de ce jour solennel du 31 octobre qui nous rappelle les luttes héroïques et la victoire historique de notre vaillant peuple, j’appelle toutes et tous les patriotes Burkinabé de l’intérieur et de l’extérieur épris-es de liberté, de justice et de paix à s’unir afin de mettre fin à la dictature de la petite bourgeoisie militaire actuelle, au piratage des luttes de notre peuple par ces officiers putschistes ayant pris gout aux luxes et aux délices du pouvoir. Unissons-nous pour mettre fin et à la confiscation de nos libertés et de nos droits par cette classe de parasites en uniforme et leurs griots civils opportunistes. La révolution burkinabé ne se fera pas par procuration avec de soi-disants « révolutionnaires » assis dans le porte-bagage de militaires putschistes.
Quant aux vrai.es panafricanistes d’ autres pays africains et de la diaspora noire, je les invite à soutenir les vrai.es progressistes burkinabè qui ont toujours lutté et continuent de lutter pour la souveraineté totale du Burkina, la paix, la cohésion et la réconciliation entre les différentes communautés de notre cher pays, la sauvegarde et la consolidation des libertés individuelles et collectives, les droits des travailleur-ses, des filles et des femmes, l’indépendance de la Justice, l’État de droit, la liberté syndicale, d’expression, de presse et d’association, la fin de l’extractivisme, du sexisme, du patriarcat, de l’impérialisme et du néocolonialisme dans notre pays et en Afrique. C’est cela le vrai panafricanisme et le vrai anti-impérialisme, et c’est tout le contraire de la démagogie anti-impérialiste hypocrite, des manipulations populistes et des gesticulations pseudo-panafricanistes, pseudo-révolutionnaires puériles des militaires putschistes et de leurs soutiens civils actuels.
Non à la banalisation de la vie humaine
Non aux violations des droits humains
Non aux intimidations.
Seule la lutte libère
Comme l’a dit le professeur Ki-Zerbo, Naan laara, An Sara

Christine Paré
Christine_pare@yahoo.fr