Ansaroul Islam et d’autres groupes armés ont brutalement assiégé des localités à travers le Burkina Faso, commettant des crimes de guerre et des atteintes aux droits humains — homicides de civil·e·s, enlèvements de femmes et de filles, attaques contre des infrastructures civiles et des convois de ravitaillement — qui ont de graves conséquences humanitaires, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport publié le 2 novembre 2023.
Intitulé “La mort nous guettait : Vivre dans des localités assiégées au Burkina Faso,” ce rapport dénonce les atteintes aux droits des habitants des zones assiégées de cultiver leurs terres et d’élever du bétail, et limitent leur accès à la santé et à l’éducation, contraignant des dizaines de milliers de personnes à quitter leurs lieux de résidence.
Ansaroul Islam et d’autres groupes armés commettent de graves atteintes aux droits humains à travers le Burkina Faso. Ils mettent en place des sièges à travers le pays, mais ont aussi tué des milliers de civil·e·s et détruit des infrastructures civiles, notamment des ponts et des points d’eau.
Samira Daoud, directrice du programme Afrique de l’Ouest et Afrique centrale à Amnesty International. « Les groupes armés attaquent également des convois de ravitaillement, ce qui touche de manière disproportionnée les civil·e·s. Au Burkina Faso, une personne sur 12 a été contrainte de quitter son foyer à cause du conflit armé »
Des localités assiégées
Selon les estimations d’Amnesty International, en juillet 2023, 46 localités au moins subissaient un siège par des groupes armés au Burkina Faso. Cette stratégie, employée pour la première fois en 2019 mais devenue une caractéristique du conflit depuis 2022, se définit par l’utilisation de postes de contrôle sur les principales voies de sortie, la pose d’engins explosifs improvisés pour limiter le trafic et des attaques occasionnelles contre des civil·e·s, des soldats et des convois de ravitaillement. Ces sièges touchent environ un million de personnes.
Une personne dirigeant une organisation de la société civile a expliqué à Amnesty International : « En ce moment, chaque jour, il y a des villes et des villages sous blocus. Arbinda est sous blocus depuis 2019. Gorgadji, Sollé, Mansila et Titao, c’est un peu la même chose, et les dangers sont réels pour la population. »
Ansaroul Islam et d’autres groupes armés ont attaqué les habitant·e·s de localités assiégées. C’est ce qui s’est passé à Madjoari (province de la Kompienga, région de l’Est), une ville encerclée par Ansaroul Islam depuis février 2021. Le 25 mai 2022, des assaillants armés ont attaqué des civil·e·s de Tambarga et de Madjoari qui tentaient de fuir le siège de ces communes et d’atteindre Nadiagou, dans le département de Pama, à Singou, tuant au moins 50 civil·e·s. Parmi les gens qui fuyaient, seules quatre personnes (deux femmes, une personne âgée et un enfant) ont été épargnées par les assaillants ; elles ont réussi à atteindre Nadiagou. En janvier 2023, 66 femmes, filles et bébés ont été enlevés près du village assiégé de Liki, dans le département d’Arbinda, alors qu’elles ramassaient du bois et cueillaient des fruits sauvages et des légumes, en raison du blocus de leur village par Ansaroul Islam.
Dans plusieurs localités assiégées, Amnesty International a constaté que les membres d’Ansaroul Islam avaient interdit aux habitant·e·s de cultiver ou d’accéder aux terres de pâture pour le bétail, compromettant gravement la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance.
Une personne déplacée âgée de 52 ans a déclaré à Amnesty International : « Les terroristes [sic] nous traitent de mécréants et nous interdisent de cultiver nos champs. Je n’ai pas pu cultiver cette année [2022] ni accéder aux pâturages pour mon bétail. Au début de la saison des pluies, ils nous ont dit à Djibo que personne n’était autorisé à aller dans les champs. Par ailleurs, ils viennent prendre nos animaux dans les pâtures comme ils veulent. Quiconque se hasarde à s’opposer à eux court le risque d’être tué. »
En juin 2023, 373 dispensaires étaient fermés au Burkina Faso en raison du conflit, une situation affectant l’accès aux soins de 3,5 millions de personnes. Dans la région du Sahel, plus de 84 centres médicaux ont été contraints de fermer, limitant l’accès aux soins de 964 000 personnes.
« Nous avons dû manger des feuilles de plante sauvage pour survivre »
Les sièges ont aussi de graves conséquences économiques et humanitaires, notamment un effet inflationniste localisé dans les villes encerclées du fait des pénuries alimentaires. À Djibo, la sécurité alimentaire est un problème majeur, les habitant·e·s n’ayant d’autre choix pour se nourrir que de manger des feuilles sauvages, comme les feuilles d’oulo (Senna obtusifolia).
Nous avons dû manger ces feuilles de plante sauvage pour survivre. Les gens sont prêts à tout pour se nourrir et nourrir leur famille. Parfois, ils mixent des feuilles d’oulo avec du riz, mais comme récemment le riz devient plus rare, nous avons dû manger uniquement les feuilles d’oulo. Avant le siège, ces feuilles, c’était pour les gens pauvres, mais maintenant c’est devenu un aliment de base courant et il est même difficile d’en trouver dans la nature. (Une personne déplacée, qui a fui Djibo après le début du siège)
Une personne déplacée âgée de 65 ans qui a fui Djibo en novembre 2022 a déclaré : « La faim règne à Djibo et les plus faibles y sont les plus exposés. J’ai graduellement perdu la vue cette année. »
Pour mettre en place son siège, Ansaroul Islam a détruit des structures civiles, notamment des ponts et des infrastructures hydrauliques, comme des puits et des canalisations. Des combattants armés ont détruit plus de 32 points d’eau au Burkina Faso entre janvier et mai 2022, la plupart des attaques étant concentrées à Djibo, où les habitant·e·s disposent chacun de moins de trois litres d’eau par jour pour l’ensemble de leurs besoins — se laver, nettoyer et cuisiner.
La réponse des autorités
Les autorités ont mis plusieurs mesures en place visant à rétablir la sécurité, parfois avec des effets néfastes pour les civil·e·s.
L’armée du Burkina Faso, épaulée par les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), une unité auxiliaire formée en 2020, a attaqué la ville de Holdé, située à quelques kilomètres de Djibo, mais sous l’influence d’Ansaroul Islam, le 9 novembre 2022. Lors de cette attaque, une colonne de véhicules et de motos occupait le village et s’en est pris directement aux civil·e·s, tuant au moins 49 personnes, pour la plupart des femmes et des enfants, selon des rescapé·e·s de l’attaque interrogés par Amnesty International.
Face à la situation sécuritaire qui se dégrade, les autorités burkinabè ont décrété l’état d’urgence en 2019, qui confère des pouvoirs extraordinaires à l’administration. Elles ont aussi pris diverses mesures, comme des escortes militaires sur les routes pour « le transport de carburant, de marchandises et d’autres matières dangereuses » et l’interdiction des transferts d’argent dans les régions du Sahel et de l’Est, entravant ainsi l’accès humanitaire et l’aide aux populations dans le besoin. La rupture de confiance entre les autorités et les acteurs humanitaires, symbolisée par l’expulsion du coordinateur des affaires humanitaires de l’ONU en décembre 2022, a des répercussions négatives sur les secours humanitaires dans un pays où près de deux millions de Burkinabè ont dû quitter leur foyer, selon le Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR).
« Ansaroul Islam et tous les groupes armés doivent mettre fin sur-le-champ à toutes les attaques contre des civil·e·s et des infrastructures civiles et faciliter l’accès sans entrave des organisations humanitaires afin de venir en aide aux personnes touchées. Les autorités au Burkina Faso doivent mettre fin aux attaques visant des civil·e·s et accorder la priorité aux mesures qui favorisent les soins de santé et la sécurité alimentaire dans les localités assiégées ou accueillant des personnes déplacées, a déclaré Samira Daoud.
« Au Burkina Faso, la vie de millions de personnes est en jeu. La communauté internationale doit redoubler d’efforts pour que les responsables de crimes de guerre et d’atteintes aux droits humains soient traduits en justice. Les Burkinabès ont le droit de vivre en sécurité et dans la dignité, et méritent un futur plein de promesses. »
Complément d’information
Depuis 2016, le Burkina Faso est confronté à un conflit armé non international qui oppose les forces de l’État à Ansaroul Islam, un groupe armé local affilié à Al Qaïda et à l’État islamique au Sahel (ISS). Ce conflit s’inscrit dans le cadre plus global du conflit armé au centre du Sahel, qui a commencé en 2012 au Mali avant de s’étendre aux pays voisins, le Burkina Faso et le Niger, et, plus au sud, aux frontières avec le Bénin, le Togo, le Ghana et la Côte d’Ivoire.
Les groupes armés et les forces armées nationales ont commis de nombreuses violations des droits humains contre les civil·e·s depuis le début du conflit en 2016. On recense des milliers de victimes civiles, surtout dans les zones assiégées. En 2022, l’année la plus meurtrière jamais enregistrée, 1 418 civil·e·s ont été tués, selon l’ONG Armed Conflict Location Event Database (Base de données sur le lieu et le déroulement des conflits armés, ACLED).
*Les noms ont été supprimés afin de protéger l’identité des personnes concernées.
Amnesty International
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