La Commission Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) va-t-elle-jouer son
va-tout pour reprendre l’expression de la Grande Royale ?

La situation politique du Sénégal intervient dans un contexte où l’union communautaire traverse
une véritable crise avec certains de ses Etats membres. Cet écrit retrace sommairement les
différentes situations et décisions que la CEDEAO a eues à prendre sur certains Etats en
pareilles circonstances.
La CEDEAO est composée de 15 Etats membres après le départ de la Mauritanie en 2000.
Ces Etats sont : le Burkina Faso (274.220 Km2 ), le Mali (1.240.190 Km2), le Niger (1.267.000 Km2), le Nigeria (923.770 Km2), le Sénégal (196.710 Km2), la Gambie (11.300 Km2), le Bénin
(114.763 Km2), le Cap-Vert (4.033 Km2), le Libéria (111.369 Km2), le Ghana (238.533 Km2),
le Togo (57.000 Km2), la Guinée Bissau (36.125 Km2), la Guinée (245.857 Km2), la Côte
d’Ivoire (322.462 Km2) et la Sierra Léone (71.740 Km2).

Le regroupement de ces Etats au sein d’un même espace communautaire a pour objectif
principal de prôner la libre circulation des personnes et des biens, donc une communauté de
peuple, pas des chefs d’Etat.
Suivant l’évolution démocratique dans l’espace communautaire, les chefs d’Etat de la
CEDEAO ont adopté le protocole A/SP1/12/01 sur la Démocratie et la bonne Gouvernance
Additionnel au protocole relatif au Mécanisme de Prévention, de Gestion, de Règlement des
Conflits, de Maintien de la Paix et de la Sécurité.
L’article 2 de ce protocole dispose « Aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit
intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large
majorité des acteurs politiques. Les élections à tous les niveaux doivent avoir lieu aux dates
ou périodes fixées par la Constitution ou les lois électorales ».
Le même protocole prévoit en son article 45 des sanctions en cas de rupture de la Démocratie
par quelque procédé que ce soit, ces sanctions sont : « le refus de soutenir les candidatures
présentées par l’Etat membre concerné à des postes électifs dans les organisations
internationales ; le refus de tenir toute réunion de la CEDEAO dans l’Etat membre concerné ;
la suspension de l’Etat membre concerné dans toutes les instances de la CEDEAO et pendant
la suspension l’Etat sanctionné continue d’être tenu au paiement des cotisations de la période
de suspension ».
En vertu des articles susmentionnés, face à une réforme et au changement
anticonstitutionnel qu’il soit civil ou militaire, la CEDEAO doit appliquer les sanctions mais
conformément aux textes ratifiés par les chefs d’Etat des pays membres. Pour rappel, la
CEDEAO a tergiversé sur le troisième mandat d’Alpha Condé (Guinée) et d’Alassane
Dramane Ouattara (Côte d’Ivoire) et récemment en Guinée Bissau où le président Emballo
a dissout l’Assemblée Nationale dominée par l’opposition politique dont les députés ont été
juste élus en juin 2023.
Cependant, s’agissant du Mali, du Burkina et du Niger, la CEDEAO a été très ferme et a
appliqué des sanctions au-delà même de ses textes.
Rappelons les sanctions imposées au Niger par la CEDEAO et l’UEMOA, ces sanctions sont
notamment, la fermeture des frontières, la suspension des transactions financières et
commerciales avec le Niger, le gel des avoirs du Niger et l’option d’intervention militaire contre
le Niger. Ces sanctions illégales ont poussé les militaires au pouvoir au Mali, au Burkina
Faso et au Niger à créer l’Alliance des Etats du Sahel (AES), le 16 septembre 2023. Ces
Etats en terme de superficie constituent 54,37% de la superficie totale de l’espace
CEDEAO.
Au lendemain de retrait des pays membres de l’AES de la CEDEAO, le président sénégalais
Macky Sall vient de donner un coup de marteau à l’organisation ouest africaine déjà fragilisée
suite au départ des pays de l’AES. Dès cette décision du président Macky Sall, l’on a attendu
un sommet extraordinaire de la CEDEAO afin d’appliquer ses textes, ce n’est pas un plaisir,
juste un principe.
Pour rappel, dans le passé, la CEDEAO a été ferme dans la gestion des crises politiques en
Gambie concernant Yaya Jammeh et en Sierra Léone où, elle a contribué au recomptage des
voix. Cette opération a abouti à l’organisation d’un second tour de l’élection présidentielle à
laquelle l’opposition politique a gagné le scrutin. Ce qui est incompréhensible et douteux, c’est
le silence de la CEDEAO sur le putsch du président Emballo et le communiqué très timide
relatif au cas du président Macky Sall.
En effet, tout sachant et intéressé des questions électorales, sait que la situation du Sénégal était
prévisible. A titre illustratif, sans consensus de la classe politique sénégalaise, le président
Macky Sall a révoqué tous les membres de la Commission Electorale Nationale Autonome
(CENA) à moins de trois (3) mois du scrutin de 25 février 2024. Pire à la veille de l’ouverture
de la campagne électorale, il reporte muni-militari la présidentielle du 25 février, donc à moins
d’un (1) mois, pas même le fameux six (6) mois. A ce sujet et contrairement dans certains pays,
la communauté internationale n’a pas été ferme pour condamner afin de sauver la démocratie
sénégalaise, qui fait école dans la sous-région, s’est contentée à faire des communiqués très
timides.
Par exemple : Pour les USA « Nous respectons la nécessité d’enquêter sur les allégations
d’irrégularités dans le processus de vérification des candidatures, mais nous regrettons les
perturbations du calendrier électoral qui en résultent ».
Pour la France « Nous appelons les autorités à lever les incertitudes autour du calendrier
électoral pour que les élections puissent se tenir dans le meilleur délai possible et dans le respect
des règles de la démocratie sénégalaise ».
Pour l’UE : « L’UE soutient la position exprimée par la CEDEAO et appelle tous les acteurs à
œuvrer, dans un climat apaisé, à la tenue d’une élection, transparente, inclusive et crédible, dans
les meilleurs délais et dans le respect de l’Etat de droit, afin de préserver la longue tradition de
stabilité et de démocratie au Sénégal ».
Pour la CEDEAO : « La commission de la CEDEAO exprime sa préoccupation face aux
circonstances qui ont conduit au report des élections et appelle les autorités compétentes à
accélérer les différents processus en vue de fixer une nouvelle date pour les élections ».
Pour l’UA : « Le Président de la Commission encourage vivement toutes les forces politiques
et sociales au règlement de tout différend politique par la concertation, l’entente et le dialogue
civilisés, dans le strict respect des principes qui gouvernent l’Etat de droit dont le pays a une
tradition historique enracinée ».
Pour l’OIF : « Je déplore les violences et invite tous les acteurs à la retenue, à la concertation
et en tant que de besoin le recours par les voies légales. Seule l’unité des forces politiques en
réponse aux enjeux actuels garantira aux citoyens sénégalais la stabilité et la sécurité ».
L’analyse de ces condamnations suite au coup d’Etat orchestré par le président Macky
Sall qui refuse d’organiser les élections dans le délai prévu, l’on comprend aisément qu’il
existe une stratification des pays à l’échelle internationale et au plan communautaire.
Certains communiqués montrent clairement que le report est déjà consommé.
En outre, le changement anticonstitutionnel dans l’espace-CEDEAO concerne le cas civil
et militaire, car le protocole n’a pas différencié s’il s’agit d’un civil ou d’un militaire, un
coup d’Etat est un coup d’Etat.
La communauté internationale avec à sa tête la CEDEAO peut imposer la tenue des élections
à la date du 25 février 2024 afin d’éviter à ce pays de s’enliser dans une crise politique sans
précédente de son histoire.
Qu’est ce qui prouve que le 15 décembre 2024, les élections auront-elles lieu ? Qu’est ce qui
passera après le 2 Avril 2024, fin du mandat légal du Président Macky Sall ? Et si la CEDEAO
décide de l’organisation et de la conduite du processus, tout comme les Nations-Unies au
Cambodge et au Timor ?
Il est important d’anticiper et d’arrêter les dérives totalitaires pour éviter la désobéissance civile
après l’expiration du mandat légal du président Macky Sall et pour la crédibilité de la CEDEAO
déjà perdue aux yeux des pays membres de l’AES du fait sa variance et de son manque de
constance dans le traitement des dossiers et des prises de décisions. En outre, le cas du
Président Macky Sall, s’il passe constituera une jurisprudence dangereuse dans l’espace CEDEAO. Il est très probable en Côte d’Ivoire, au Bénin, en Guinée Bissau, au Togo, etc.
Pour rappel, pendant les élections de sortie de crise en Guinée, qui ont consacré le premier
mandat d’Alpha Condé, lorsque les acteurs politiques de ce pays ne se font pas confiance, avec
l’aide de la communauté internationale c’était le malien général Sangaré qui a présidé la
Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) et les élections ont été bien tenues.
La CEDEAO doit utiliser toutes ses cartes ou périr. En acceptant de périr, l’histoire retiendra
que les chefs d’Etat actuels ont sombré l’organisation à son stade de maturité.

Docteur Nafiou WADA
Facilitateur Accréditeur
Kaceto.net