Dieu est-il mort comme l’a affirmé Friedrich Nietzsche dans « Le gai savoir » ? Denis Dambré propose ici une lecture critique du « Traité d’athéologie » du philosophe Michel Onfray pour qui la réponse est sans équivoque : « Dieu n’est ni mort ni mourant ». Il s’en explique : « Ni mort ni mourant parce que non mortel. Une fiction ne meurt pas, une illusion ne trépasse jamais, un conte pour enfants ne se réfute pas. Ni l’hippogriffe ni le centaure ne subissent la loi des mammifères. Un paon, un cheval, oui ; un animal du bestiaire mythologique, non. »

Pour l’auteur du « Traité d’athéologie », le postulat nietzschéen de la mort de Dieu est donc tout simplement impossible. Car, seul un être dont l’existence est avérée peut subir la loi des mammifères, donc mourir ou être tué. Or, en ce qui concerne Dieu, « qui aurait pu le tuer ? » se demande-t-il.
En effet, écrit-il, « on ne tue pas un souffle, un vent, une odeur, on ne tue pas un rêve, une aspiration. Dieu fabriqué par les mortels à leur image hypostasiée n’existe que pour rendre possible la vie quotidienne malgré le trajet de tout un chacun vers le néant. Tant que les hommes auront à mourir, une partie d’entre eux ne pourra soutenir cette idée et inventera des subterfuges. On n’assassine pas un subterfuge, on ne le tue pas. »
Du point de vue de l’athéisme, la charge du philosophe ne manque pas de cohérence. Mais à mesure qu’on avance dans la lecture de son pamphlet antireligieux, on est surpris de le voir briser lui-même la logique de son raisonnement par l’affirmation que ce serait plutôt Dieu qui tue. Il écrit en effet : « Dieu met à mort tout ce qui lui résiste. En premier lieu la Raison, l’Intelligence, l’Esprit Critique. Le reste suit par réaction en chaîne… ».
Et le philosophe de faire référence aux guerres de religions, à l’Inquisition et au terrorisme intégriste, rompant par-là même sa propre logique. Car on ne peut pas, d’un côté, réfuter l’idée qu’une fiction puisse mourir et, de l’autre, accepter qu’elle puisse tuer. Si, comme l’affirme Michel Onfray, Dieu n’est pas, alors il est aberrant de lui imputer des crimes. Un non-être ne tue pas. J’en tirerais plutôt la conclusion suivante : que Dieu existe ou pas, il ne peut ni mourir ni tuer. Ce sont plutôt les humains, autrement dit, ses créatures du point de vue des croyants ou ses créateurs du point de vue des athées, qui tuent en son nom. La responsabilité humaine est donc entière dans tous les cas de figure.
Michel Onfray fait par ailleurs une opposition pour le moins curieuse entre Dieu et « la Raison, l’Intelligence, l’Esprit Critique ». Curieuse car, à supposer comme lui que Dieu soit purement et simplement un mythe, une telle opposition revient à prétendre que l’intelligence n’est pas à l’œuvre dans la création d’un mythe ou d’une œuvre de fiction. Les poètes, les romanciers, les cinéastes et autres artistes apprécieront ! Il faut se rendre à une évidence : la création des mythes et des œuvres de fiction fait partie intégrante de l’exercice de la Raison humaine. « Inventer des subterfuges » pour apaiser son angoisse existentielle n’est en rien contraire à l’Intelligence. Cela participe plutôt de la réflexion des humains sur leur origine et leur destinée.
Blaise Pascal l’avait bien compris au XVIIème siècle quand il écrivait dans le chapitre sur l’esprit et sur le style de ses « Pensées » : « Lorsqu’on ne sait pas la vérité d’une chose, il est bon qu’il y ait une erreur commune qui fixe l’esprit des hommes, comme, par exemple, la lune, à qui on attribue le changement des saisons, le progrès des maladies etc. ; car la maladie principale de l’homme est la curiosité inquiète des choses qu’il ne peut savoir ; et il ne lui est pas si mauvais d’être dans l’erreur, que dans cette curiosité inutile. »
En clair, la foi prospère sur l’incapacité des athées à apporter des réponses satisfaisantes à l’angoisse existentielle des humains. Le jour où l’athéologie apportera des réponses à la « curiosité inquiète » de ceux qui trouvent leur raison de vivre et d’espérer dans la religion, les croyants cesseront de se confier à Dieu. Pour l’heure, force est de constater qu’on en est loin. A l’inverse, l’athéisme prospère sur l’incapacité des croyants à faire preuve d’un surcroît de vertu par rapport aux autres humains.
La question éthique est d’ailleurs, manifestement, ce qui fonde l’athéisme de Michel Onfray. Il écrit en effet : « Si l’existence de Dieu, indépendamment de sa forme juive, chrétienne ou musulmane, prémunissait un tant soit peu de la haine, du mensonge, du viol, du pillage, de l’immoralité, de la concussion, du parjure, de la violence, du mépris, de la méchanceté, du crime, de la corruption, de la rouerie, du faux témoignage, de la dépravation, de la pédophilie, de l’infanticide, de la crapulerie, de la perversion, on aurait vu non pas les athées – puisqu’ils sont intrinsèquement vicieux… –, mais les rabbins, les prêtres, les papes, les évêques, les pasteurs, les imams, et avec eux leurs fidèles, tous leurs fidèles – et ça fait du monde… – pratiquer le bien, exceller dans la vertu, montrer l’exemple et prouver aux pervers sans Dieu que la moralité se trouve de leur côté ».
Pour Michel Onfray, les croyants, perdus dans la brume épaisse de l’ignorance, sont incapables d’user de leur Raison et de leur Esprit Critique. Mais alors, peut-on se demander, comment se fait-il qu’il y ait de grands penseurs croyants ? Quant aux athées, sortis de la nuit de l’illusion et du mythe, ils affrontent la perspective de la mort et du néant en humains responsables, éclairés par la Raison. Mais alors, peut-on se demander aussi, comment se fait-il qu’il y ait tant d’athées angoissés par la mort ?
Je pense, pour ma part, qu’il faut éviter l’opposition manichéenne entre, d’un côté, les croyants qui seraient tous des ignorants et, de l’autre, les athées qui seraient tous des intelligents. Je pense qu’il faut aussi éviter l’autre opposition non moins manichéenne entre, d’une part, les athées vicieux et voués à un brasier – dont plus personne ne conteste d’ailleurs le caractère imaginaire – et, d’autre part, les croyants vertueux et promis à folâtrer avec les anges dans un paradis non moins imaginaire et anthropomorphique. Au-delà de l’hypothèse de l’existence de Dieu ou de la réfutation de celle-ci, se trouvent des humains remplis de pourquoi. Des humains qui cherchent à vivre le plus sereinement possible le tic-tac angoissant de l’horloge qui rappelle, sans relâche, que la fin est pour bientôt.
En somme, à chaque âme ses illusions ! Je préfère un athéisme qui fait vivre à une foi qui tue au nom de Dieu. Tout comme je préfère une foi qui fait vivre à un athéisme qui fait mourir d’angoisse existentielle. Rien ne m’est plus insupportable que les bondieuseries de ceux des croyants qui estiment que l’au-delà vaut bien le sacrifice de l’ici-bas. Mais rien ne m’est plus désagréable non plus que l’attitude hautaine de ceux des athées qui considèrent tous les croyants comme des incultes et les appellent à rejoindre leur Raison lumineuse, sans toutefois apporter des réponses à leur désespoir face à l’échéance inéluctable de la mort.
Ma recommandation aux uns comme aux autres serait donc la suivante : croyez si cela vous aide à vivre, mais surtout vivez et agissez de sorte que la vie des autres soit possible et agréable ! Ne croyez pas si la perspective du néant ne vous empêche pas de vivre, mais alors vivez aussi et agissez de sorte que la vie des autres soit possible et agréable ! Car, dans les deux cas, vous n’aurez rien perdu à traverser l’éphémère de l’existence.

Denis Dambré, Proviseur de collège
Kaceto.net