Après Untamba (Rassembleur), intronisé le 15 mais, c’était au tour de Hamapanli (le bienfait n’est jamais perdu) de monter sur le trône le 18 mai. Deux rois règnent donc sur le Nungu, une situation qui n’est certes pas inédite, mais qui crée un désarroi chez les "sujets" déjà pris dans l’étau de l’hydre terroriste.
Retour sur la cérémonie qui a consacré Mohamed Thiombiano Tiguié, (celui qui n’a peur de rien) 32è roi du Nungu, mais également du Gulmu, un empire qui s’étend sur le Tchad, le Togo, le Niger et le Ghana.

C’est un grand jour pour les partisans de Mohamed Thiombiano Tiguié, choisi le 10 mai par les géomanciens, les tapeurs de sable comme on les appelle couramment, pour succéder au Kupiendéli, lequel s’était endormi dans la nuit du 16 au 17 août 2019.
Premier adjoint au maire de la ville de Fada, ancien footballeur de haut niveau, le nouveau roi s’apprête à monter sur le trône du Nungu, comme naguère son père Yoabili, qui a régna de 1992 à 2002.
C’est dans la famille des Nassouri qu’il a choisi de passer sa retraite d’une semaine après que les tapeurs de sable l’aient désigné le 10 mai. En attendant le jour J, tous les soirs, les jeunes se donnent rendez-vous devant la cour, tapent le tam-tam et dansent, puis se dispersent avant le couvre-feu de 21 heures. « C’est comme ça dans la tradition ; on vient exprimer notre joie et féliciter notre nouveau roi en attendant sa sortie », explique un danseur.
Les préparatifs vont bon train. Dans et autour de la cour royale, c’est une véritable opération mana mana qui est menée. On balaie, on astique et on range. Un artiste peintre tapisse le mur de portraits des rois précédents.

« Vous allez voir ce que vous allez voir ; l’autre jour- allusion à la sortie de Untamba, l’autre roi- c’était rien. Vous verrez comment les Fadalais vont sortir pour acclamer leur roi », pronostique un prince à Kaceto.net.
C’est maintenant le jour J. Dès la levée du soleil, la cour des Nassouri est bondée de monde. Les danseurs rivalisent de figures. A 8h50, un palefrenier conduit le cheval impeccablement harnaché devant la porte. La tension monte d’un cran. La sortie du roi est imminente. La foule s’excite. La police nationale et municipale, appuyée par des éléments Kogweogos, bande les muscles.
Le chargé de communication de l’événement demande à la presse de s’approcher. Par petits groupes, elle est autorisée à pénétrer dans la cour, trop petite pour contenir la foule, pour les prises de vues du roi. Il est tout de blanc vêtu, porte un double chapeau, des boucles d’oreilles, des bracelets et tiens haut son sceptre, symbole de sa puissance. De jeunes femmes activent des éventails pour lui procurer de l’air. Le voilà enfin sortie. L’air grave, il est entouré de très près par les notables et les gardiens du temple. Le cheval manifeste un peu de nervosité. Le roi salue de la main la foule, qui répond par de longs applaudissements et les youyous des femmes.
Ses gardes du corps l’aident à enfourcher le cheval. Les ministres et autres notables prennent position devant. Le long cortège s’ébranle en direction de la cour royale. La foule grossit au fur et à mesure qu’on avance. Dans une cacophonie joyeuse, le jeune roi de 44 ans passe devant sa propre cour, mais n’y jette même pas un coup d’œil. C’est terminé, il n’y mettra plus les pieds jusqu’à sa mort. Le soleil, qui a eu du mal à se défaire des nuages, tape déjà. Le mercure affiche haut, près de 40 ! Tout le long du parcours, le roi salue ses sujets sorties l’acclamer. Il sourit parfois. Sans plus. Le dispositif mis en place par la police et les Kogwéogos fonctionne tant bien que mal. Pas de débordement. Environ 20 mn après le départ, nous voilà devant la cour royale. Le roi marque un arrêt devant la porte. Les chasseurs d’images, professionnels comme amateurs, le mitraillent. Facebook est inondé.

Vive le roi ! Vive le roi !, scande la foule ! Il descend du cheval, toujours escorté de très près par ses gardes de corps et se dirige vers une case qu’il franchit et s’installe dans une deuxième distante d’environ 10 m. Dans la cour, la sono crache des décibels de musique gourmarché. Les femmes et hommes dansent, se tapent dans les mains. Ici, on ne respecte pas les gestes barrières. De toute façon, Fada N’Gourma a été épargnée par la maladie. Zéro cas depuis l’apparition du COVID-19 dans notre pays.
Le MC demande un peu de silence et annonce le programme de la cérémonie de sortie officielle du 32è roi du Gulmu : les sacrifices rituels, le retrait à nouveau du roi, puis son retour pour recevoir les salutations et autres allégeances des familles princières. Le premier point du déroulé de la cérémonie constitue l’étape fondamentale de son installation. Devant la première case, trois tas de terre sont formés. Précédé de princesses et de princes habillés en cotonnade, le roi s’avance vers le troisième tas. Les notables ne le lâchent pas une seconde. Tous s’asseyent, jambes croisées et font face à la porte de la première case, direction Est. Des femmes lui apportent une grosse calebasse à moitié remplie de lait, une autre de zoom kom et de l’eau. Il va s’adresser aux ancêtres et leur demander de veiller sur son royaume, d’apporter la paix, l’abondance et la fertilité à son peuple. Un conseiller lui souffle à l’oreille les gestes à accomplir. Dans un premier temps, il débute le rite avec une petite calebasse d’eau qu’il verse à plusieurs reprises tout en prononçant des paroles ésotériques.
Il répète les mêmes gestes avec une grosse louche végétale remplie de lait, puis avec le zoom kom. Le dialogue avec les ancêtres est secret. Seuls les initiés savent décrypter le contenu. Dans un deuxième temps, on lui apporte un coq tout blanc. Ses conseillers immobilisent la volaille, tendent son coup et lui remettent un couteau. Il psalmodie des mots, fait semblant d’égorger le coq, puis remet l’arme au koparkiamo, l’égorgeur attitré, puis lui tourne le dos. « Le roi ne doit pas voir la séquence où on égorge le coq, parce qu’il ne doit pas voir le sang qui va gicler. Le sang ne doit pas couler durant son règne », explique un prince. Le même rituel est répété avec un bélier et un taureau, également de couleur blanche. Les ministres boivent ensuite l’eau, le lait et le zoom kom avant de les passer au public. On se bouscule pour pouvoir avaler ne serait-ce qu’une gorgée de ces liquides bénies par les ancêtres.

A nouveau escorté, le roi se dirige vers la case où l’attendent ses dix ministres, le chef peul et le chef mossi. Il est aspergé d’eau peu avant de franchir la porte. Pendant ce temps, les familles des bouchers, en l’occurrence les Nassouri s’activent pour dépecer les bêtes immolées et les découper en petits morceaux qui seront offerts aux familles alliées. Le griot de la cour entre en scène. Il fait les louanges du nouveau roi et annonce, dans un tonnerre d’applaudissements, le nom de son règne : Hamapanli Kambia, qui signifie : "le bienfait n’ai jamais perdu" !
C’est maintenant fait. La tradition a été respectée. Les rites ont été accomplis et les ancêtres ont béni le du roi. A preuve, le coq, après s’être débattu, est retombé pile sur le dos.
Environ une demi-heure après, on annonce la sortie du 32è roi du Nungu, c’est-à-dire Fada, et du Gulmu, l’empire. Entouré de ses ministres et autres sages du royaume, il reçoit les allégeances des familles princières. A tour de rôle, et après s’être déchaussées, ces dernières s’avancent, s’accroupissent et des mains, font des signes d’allégeance. Ils offrent ensuite des présents au roi. Du bétail, de la volaille et des géritanes remplies de dolo, la bière locale.
Le reste de la journée est marquée par des réjouissances dans la cour royale.
Le Nungu a maintenant deux rois. Résultat de l’incapacité des familles princières à s’accorder sur un mode consensuel de dévolution du pouvoir.
Une situation que déplorent les deux camps, mais nul n’est prêt à céder. « Ne vous inquiétez pas ; nous allons trouver une solution parce que deux rois sur un trône, ce n’est pas acceptable », promet un ministre.

Dans leurs messages, les deux rois ont appelé à taire les divergences et à unir les forces des fils et filles de la région dans le combat contre l’hydre terroriste et pour le développement socio-économique du royaume.
C’est tout le mal qu’on leur souhaite d’autant que l’étau terroriste se resserre de plus en plus sur la ville.

Joachim Vokouma
Kaceto.net