Les entreprises françaises, qui vivent aussi la crise sanitaire sur le continent font preuve d’agilité pour soutenir leur activité. Certaines préservent une certaine croissance. Le CIAN fait connaître leurs espoirs et leurs attentes auprès d’acteurs publics africains et internationaux.

« Naturellement, des chiffres d’affaires ne se sont pas au rendez-vous », à la suite des mesures prises « avec beaucoup de méthode » par les pays africains. Au Forum du CIAN (Conseil français des investisseurs en Afrique), sa directrice générale Sandrine Sorieul résume l’impact d’un an de crise sur l’activité des membres.

Pourtant, loin de se contenter d’un simple état de l’activité des entreprises françaises sur le continent, les participants ont porté leur attention vers l’après-crise, même si celui-ci tarde à se profiler. L’événement est ainsi l’occasion de présenter les attentes des entreprises après un an de difficultés.

Le CIAN a d’abord tenu à refléter par la participation de la Fondation Mo Ibrahim les inquiétudes de ses membres sur la qualité de la gouvernance dans les pays africains où « les critères liés à l’administration (efficacité des douanes, fiscalité, système judiciaire) sont généralement notés avec sévérité », comme l’indique le baromètre annuel.

Invité d’honneur du Forum Afrique, Mo Ibrahim en personne a prononcé un discours inquiet sur la montée des « hommes forts » et la détérioration des indicateurs de bonne gouvernance ces deux dernières années. Interrogé sur la gouvernance des entreprises, il regrette que l’enquête menée par sa fondation ne l’intègre pas mais tient à mettre le secteur privé en garde contre les visions simplistes : « La corruption a des amis dans les palais et dans les conseils d’administration des entreprises ».

Mo Ibrahim enjoint tous les acteurs économiques du continent à travailler au rebond de l’Afrique, et les gouvernements et les entreprises à y travailler de concert. Son message clair et simple aux chefs d’entreprise : « N’acceptez pas de pot-de-vin, ne cédez pas aux sirènes de la corruption ! » Le ton est donné avant que les entreprises témoignent de leur expérience.

Des stratégies validées

Parmi les groupes représentés, Orange et CFAO ont fait chacun état d’une certaine résistance aux effets de la crise en raison de la nature essentielle des activités de télécommunications et de réseaux numériques du premier et de distribution, d’alimentaire et de pharmacie du second.

Dans le cas de CFAO, représenté par Richard Bielle, l’année qui vient de s’écouler a permis l’ouverture de nouveaux centres commerciaux à l’enseigne Carrefour, en Afrique du Sud et au Mozambique. La baisse apparente d’activité du groupe, de 10%, est imputable notamment à l’arrêt complet de sa composante automobile au printemps 2020. Elle est compensée en partie par une « hausse de l’activité réelle de 4% à 5% par rapport à l’année précédente », explique Richard Bielle.

Élisabeth Medou Badang, représentant le groupe Orange en Afrique – qui y emploie 18 000 personnes –, a vu la crise « conforter la nature cruciale de nos activités pour la continuité du professionnel comme du personnel ». À ce titre, elle entend porter la revendication de la couverture entière du territoire pour mettre fin aux zones blanches, par le Roaming national auprès des gouvernements des pays où le groupe opère. « C’est une manière efficace d’accéder aux services d’éducation et de réduire l’écart entre public et privé dans ce secteur. Nous demandons une démarche de partenariat de la part des États avec toutes les parties prenantes car seuls on n’y arrivera pas ! »

En écho, le groupe Accor représenté par son PDG, Sébastien Bazin, souligne la nécessité pour les entreprises françaises qui opèrent en Afrique de rechercher la connaissance fine du terrain. Le continent, à ses yeux si important « qu’on n’a pas le droit de ne pas y être », mérite de la part des investisseurs et gestionnaires « de décoder le tissu économique local par pays, et même par ville ».

Pour faire émerger des partenariats les entrepreneurs devraient faire preuve de patience, « accepter la législation, le risque de change, parfois le manque de moyens ». C’est en se pliant à ces conditions que le groupe hôtelier entend faire croître son activité sur le continent (170 hôtels actuellement) qui pourrait représenter à terme 20% de son parc total (5 200 en 2021). Interpellés par ces témoignages, les gouvernements représentés ont défendu le bilan de leurs mesures de sauvegarde et de soutien à l’économie prises dès le début de la crise.

Un soutien bienvenu

Parlant au nom du Togo, la conseillère présidentielle Sandra Ablamba Johnson rappelle la mise à disposition, dès le mois d’avril 2020, d’un fonds de solidarité de 400 milliards de F.CFA soit l’équivalent de 10% du PIB du pays. Une plateforme en ligne a permis à la population, dont les entrepreneurs, d’en bénéficier.

Tous ont pu demander des aides, des réductions ou suspensions de paiements de frais d’électricité et d’eau, ou des reports d’échéances fiscales pour les sociétés.. Au fait des enjeux du Forum, Sandra Ablamba Johnson a dit la gratitude du gouvernement togolais envers les entreprises françaises « pour le soutien dont elles ont fait preuve dans des moments difficiles ».

Pour le Gabon, le ministre des PME et de l’Industrie, Hugues Mbadinga Madiya, a expliqué les dispositions de soutien prises au titre du Comité de veille économique qui a poursuivi ce même but de continuité de l’activité. Outre des mesures sociales et fiscales, la Banque centrale gabonaise a été particulièrement sollicitée. « Elle a permis une injection de liquidités dans le système bancaire, soutenant nombre de secteurs. Lesquels ont pu repartir grâce à ces précautions, mais le tourisme et la restauration demeurent moroses. »

Ces constats auront l’occasion d’être actualisés cette année lors du prochain rendez-vous des membres du CIAN, en personne cette fois, le 1er juillet, avec la conviction que « les entreprises demeurent la clé du développement de l’Afrique », selon son président délégué Etienne Giros.

La publication du Baromètre du CIAN, menée par Sandrine Sorieul, vient rappeler que les entreprises françaises ne sont pas, comme on le croit trop souvent, cantonnées aux pays francophones du continent mais sont présentes dans presque tous les pays.

Les membres du CIAN donnent des points aux infrastructures des pays africains, en amélioration dans chaque région à l’exception de l’Afrique centrale. Ils notent que celles-ci sont plus nombreuses et qu’en particulier « les télécoms et l’accès à internet donnent satisfaction ». La qualité des réseaux électriques a été particulièrement appréciée en Côte d’Ivoire et au Sénégal.

Au contraire des inquiétudes qui ont traversé les acteurs économiques début 2020, la résistance des systèmes de santé nationaux a fait ses preuves. De la combinaison de ces facteurs émergent des profils de pays relativement préservés comme la Côte d’Ivoire, où 50% des entreprises interrogées ont conservé la valeur de leur chiffre d’affaires 2020, et le Niger où 60% l’ont conservé.

Certains dirigeants d’entreprise font aussi état de leurs mesures d’adaptation matérielles, à l’instar d’Orange, et ont investi pour numériser une partie de leur activité. Leurs prévisions pour 2021 englobent des profils très variés allant de perspectives sombres (faible croissance, faible bénéfice) en Tunisie, à Djibouti, au Congo et en Afrique du Sud, à des prévisions très optimistes pour les entreprises répondant en Mauritanie, au Niger, en Egypte et en Côte d’Ivoire.

Si les secteurs les plus touchés, l’aérien, l’hôtellerie et la restauration, sont identifiés depuis longtemps, ceux qui démontrent leur résilience sont désormais connus : transport maritime, logistique, l’alimentaire de base, les services… et bien sûr le numérique.

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