Pilote et colonel de l’armée de l’air burkinabè, Blaise Sanou est aux commandes de Air Burkina depuis mai 2017, une compagnie qui connait bien pour y avoir été commandant , directeur des opérations aériennes jusqu’en 2014, puis directeur général adjoint chargé des opération.
C’est donc un homme avertit sur les questions de transports aériens qui a bien voulu s’exprimer sur l’état de santé de la compagnie nationale aérienne burkinabè et les perspectives qui s’offrent à elle dans un contexte économique, sanitaire et sécuritaire pas toujours favorable à son essor.


Comment se porte Air Burkina post-COVID-19 ?

Air Burkina se porte mieux comparativement à l’année 2020, mais par rapport en 2019, nous sommes en dessous de nos performances parce que 2019 a été vraiment une embellie pour nous avec des chiffres très intéressants. Puis, paf, il y a eu le COVID-19 qui nous amenés à prendre des mesures drastiques, notamment l’arrêt des vols commerciaux pendant cinq (5) mois. Nous l’avons fait parce qu’il n’y avait que 5 ou 10 passagers par vol, ce qui ne nous permet pas de recouvrer le centième du coût de production ! Et comme le chef de l’Etat a décidé de la fermeture des frontières le 21 mars 2020 à l’instar de ses homologues d’autres pays, il n’y avait plus de passagers et il fallait toujours payer toutes les charges : assurances, location des avions, salaires du personnel, etc. Tout cela sans revenus ! Nous avons donc mis le personnel au chômage technique pendant trois (3) mois avec une réduction des salaires. D’autres compagnies ont baissé plus que nous et la loi nous l’autorisait d’ailleurs puisque nous pouvions même décider du chômage technique total. Les salariés touchés par une telle mesure auraient touché 30% de leur salaire et pour le chômage partiel, on pouvait les payer 50% du salaire. Mais nous avons voulu traiter tout le monde sur le même pied d’égalité, donc chacun a perçu 70% de son salaire, à quoi nous avons ajouté des mesures d’accompagnement. Notamment la suspension des remboursements des prêts internes qui avaient été accordés aux salariés, puis nous avons demandé aux banques de suspendre les traites de nos travailleurs afin de leur permettre de traverser cette période difficile.
Quand nous avons repris, l’impact du Covid était toujours là et en 2021, nous avons réduit le nombre de nos vols afin de réduire les pertes. Avant, les lignes Ouaga-Bamako et Ouaga-Dakar étaient directes, mais aujourd’hui, parfois nous couplons avec Dakar pour réduire les coûts.
C’est vrai que dans le cadre du COVID, l’Etat nous a subventionné en 2020 à hauteur de 3,5 milliards, mais nous n’avons pas les mêmes traitements que nos collègues d’Air Sénégal Air Côte d’Ivoire. Nous nous battons plus avec nos propres moyens pour assurer l’exploitation de la compagnie.

Etes-vous toujours dans une zone de turbulences ?

Non ! Dieu merci, il y a des éclaircies puisque nous avons amélioré la situation par rapport à 2020 et nous sommes en train de nous approcher de la situation de 2019 avec un écart de 30%. En 2019, nous faisions parfois un chiffre mensuel de deux (2) milliards de F CFA et actuellement, nous sommes à 1,5 milliard avec un taux de remplissage qui n’est pas mauvais. En plus, dans l’espace UEMOA, des mesures d’allègement sur le COVID-19 ont été prises avec la durée de validé du test PCR qui est de cinq (5) jours et le coût du test fixé à 25 000 F CFA. C’est une bonne chose parce qu’avant, le passager avait le sentiment que le prix du billet avait augmenté quand le test coûtait 90 000 F CFA. Mais en vérité, les Etats n’ont pas suffisamment fait pour soulager les compagnies comme cela a été demandé par les institutions internationales qui s’occupent du transport aérien : IATA, OACI, etc. Nous comprenons bien les limites de nos Etats, surtout ceux qui sont confrontés à des problèmes de sécurité et les efforts financiers qu’ils font pour y faire face.
Reste que les autres acteurs comme les aéroports, les pétroliers, les compagnies d’assistance au sol, l’ASECNA, doivent aussi travailler en synergie pour nous sortir de la crise. Car, si une compagnie disparait, c’est une perte pour eux aussi, pour les salariés et pour les finances publiques.

Combien de lignes Air Burkina dessert-elle ?

Sans la ligne Ouaga-Bobo, nous desservons huit (8) destinations : Niamey, Cotonou, Libreville, Lomé, Acra, Dakar, Bamako et Abidjan. Nous avions prévu d’ouvrir une ligne Ouaga- Abuja, mais l’Etat fédéral du Nigeria a imposé des mesures que nous ne pouvons pas respecter actuellement, entre autres, un confinement de 14 jours pour les passagers. La ligne Ouaga-Bamako-Conakry était aussi en projet, mais vu la situation qui prévaut en Guinée, nous avons temporisé.
Je dois souligner que ce qui nous freine dans nos innovations, c’est que l’Etat burkinabè a signé un contrat de concession avec une compagnie américaine African Global Development (AGD), depuis le 20 octobre 2020 qui n’est pas encore opérationnel. Cette situation qui dure depuis plus d’un an nous empêche de prendre des d’initiatives au risque de mettre en cause l’équilibre prévu par le repreneur. Nous sommes obligés de gérer le quotidien ce qui n’est pas sans conséquence sur le moral des travailleurs.

Le nouveau partenaire a annoncé la création d’un centre de maintenance, l’achat d’avions neufs et l’ouverture de lignes vers l’Europe. Ce ne sont que des intentions. Qu’est-ce qui coince ?

Au début, c’était lié à une lenteur administrative et par la suite, le nouveau partenaire a posé des conditions à la demande semble-t-il, de la banque qui l’accompagne en raison de l’apparition du COVID-19. Nous sommes donc dans l’attente et sans pouvoir prendre des initiatives, je me réjouis du fait que nous ayons amélioré le taux de remplissage qui est autour de 68%.
Nous faisons le point une fois par semaine et ce qui en ressort, c’est que les charges fixes que nous supportons sont élevées, comme la location des avions. Un plan stratégique avait été élaboré avec trois avions, mais le contexte ayant changé, cet avion n’est pas opérationnel, mais nous sommes quand même obligés de payer sa location. En fait, deux avions nous suffisent pour l’instant, et le troisième est superflu, mais il y a un contrat sur cinq ans qui comprend trois avions. Nous avons tenté de le céder sans succès. Un avion qui ne vole pas, ce sont des charges inutiles et nous travaillons à le mettre sur la ligne Libreville-Douala avec une structure gabonaise.

Justement, qu’est-ce qui justifie l’ouverture de la ligne Ouaga-Libreville  ?

La réponse est simple : il y a du trafic ! Nous desservons la capitale gabonaise via Cotonou qui est le point d’entrée des pays d’Afrique centrale vers l’Afrique de l’ouest. Toutes les compagnies passent par là et beaucoup de gens passent par Cotonou. Un vol direct serait une perte.

Vous avez lancé un produit innovent en 2020 qui permet aux clients de cotiser et d’acheter un billet. Un an après, quel bilan pouvez-vous en faire ?

C’est un produit que nous avons effectivement lancé dans le but d’offrir la possibilité à tout le monde de pouvoir voyager en cotisant chacun selon son rythme. Vous savez bien que le transport aérien est vu comme un luxe alors qu’il doit être vu comme une commodité. Quand nous avons lancé la ligne Ouaga Bobo en quotidienne, en 11 mois, nous avons transporté 30 000 passagers, ce qui est correct pour une première année.
C’est la preuve que si on donne la possibilité aux gens, ils prendront l’avion. Ce qui fait monter les prix des billets, ce sont les taxes imposées dans nos Etats et cela tue le transport aérien sur notre continent. Quand on parle de zone de libre échange continental alors que les coûts des transports sont élevés, c’est une absurdité. Nous n’avons pas de bonnes routes encore moins de chemins de fer performants. Le moyen qui aurait pu soutenir les échanges entre les Etats africains, c’est l’avion. Si les prix sont abordables, les gens prendront l’avion.
C’est à cause des taxes que le prix d’un billet Ouaga Dakar coûte plus cher que le prix du billet Ouaga Paris. En Occident, des gens prennent des compagnies low-cost pour aller d’un pays à un autre en 4 ou 5 heures pour un prix de 65 000 F, c’est-à-dire le même prix que Ouaga-Bobo qui ne dure qu’une heure ! Tout cela à cause des taxes. C’est pour pallier à ces coûts excessifs qui empêchent les gens de voyager que nous avons créé ce produit. Nous sommes en train de revoir la formule pour donner plus de possibilité aux gens de cotiser comme ils le souhaitent et non imposer un dépôt de 50 000 F à l’ouverture du compte comme prévu.

La ligne Ouaga-Bobo est-elle rentable ?

Non ! Pour une raison : on n’a pas respecté ce qui était prévu, c’est-à-dire l’annulation de toutes les taxes, ce qui représente environ 20 000 F sur chaque billet. Si on supprime les taxes, je vous garantis qu’on pourra développer les vols intérieurs surtout les week-end où nous avons des problèmes de places. Pour satisfaire la clientèle, nous sommes obligés de mettre un avion de 104 places au lieu de 72, c’est dire qu’il y a un potentiel à explorer. Je remercie le ministre de l’Economie et des finances qui a accepté de supprimer les taxes sur les carburants, parce que ça nous nous soulage énormément.

Quel est l’effectif actuel d’Air Burkina ?

Air Burkina emploie actuellement 170 personnes alors que l’effectif était à plus de 200 quand l’Etat l’avait repris à Aga Khan. Toutes les études ont montré qu’on était en sureffectif et nous avons internalisé certaines activités pour donner du travail à tout le monde, notamment l’entretien de nos véhicules et la buanderie pour les tenues du personnel navigant. Nous avons toutefois arrêté les Contrats à durée déterminés (CDD) en raison des difficultés liées au COVID et de la nécessité de réduire les effectifs pour tenir compte des activités réelles. Il ne sert à rien d’employer des gens qui n’ont pas de travail à faire mais qui sont payés.
Ce que je dois souligner, c’est que Air Burkina qui a été créé en 1967 n’a jamais arrêté ses activités comme certaines l’ont fait face aux difficultés et nous avons de bonnes perspectives devant nous. En 2010, nous avons obtenu la certification IOSA et en 2016, nous sommes devenus membre de IATA. Or, pour en devenir membre, il faut avoir la certification IOSA pendant au moins trois exercices et chaque certification est valable deux ans. Tout cela montre la qualité de nos services. Aujourd’hui, nous avons besoin d’une chose : la recapitalisation et une amélioration de la ressource humaine, sachant que nous avons une position stratégique en Afrique. Je pense que tous ces atouts ont motivé la société américaine à racheter air Burkina.

Financièrement, Air Burkina a-t-il les reins solides ? Etes-vous satisfait de la qualité de la ressource humaine de la compagnie ?

La compagnie accusait une dette de 3,200 milliards F CFA lorsqu’elle passait sous le contrôle de Aga Khan, lequel avait exigé l’apurement de cette dette. L’Etat a payé. Mais en mars 2017, Aga Khan est parti en laissant une ardoise 7 milliards f CFA ! L’ancien premier ministre Paul Kaba Thiéba avait promis de nous aider à solder à hauteur de 1,5 milliard F CFA pendant 5 ans. Après un premier versement en 2017, nous n’avons plus rien reçu.
Mais Dieu merci, nous parvenons à faire tourner la compagnie et je suis optimiste quant à son avenir.
Ce qu’il faut, c’est améliorer la ressource humaine avec plus de qualification correspondant aux postes, une amélioration du climat social et surtout une transformation des mentalités pour épouser les valeurs et comportements d’une entreprise à vocation commerciale.

Interview réalisée par Joachim Vokouma
Kaceto.net