Quelles problématiques saillantes autour des langues locales/nationales au Burkina Faso ? Peut-on y répondre par l’analyse sémantique des titres pertinents de publications en ligne relatifs au Burkina Faso ?

▶️ A l’instar de la plupart des pays d’Afrique, le Burkina Faso a choisi une langue étrangère, en l’occurrence celle du colonisateur français, comme langue officielle. Les autres langues locales du pays, une soixantaine, ont le statut de langues nationales. La langue française, du fait de sa position au Burkina Faso, est la langue privilégiée dans l’enseignement, celle de l’administration, mais aussi des institutions et des différentes structures de l’Etat. Cependant, son statut de langue officielle ne reflète point les pratiques langagières effectives dans le pays. De sorte que les débats scientifiques, idéologiques, politiques, culturels sur la place et le rôle des langues nationales dans tous les domaines gagnent de plus en plus en intensité et en importance. Le graphique ci-après, issu de l’analyse d’un corpus pertinent et significatif de titres de publications francophones en ligne entre 2002 et 2021 laisse entrevoir l’accentuation de l’intérêt accordé à cette problématique dans les débats scientifiques, politiques, citoyens, médiatiques.

▶️ Partant de ce constat, j’ai décidé de regarder très rapidement s’il est possible de mettre en lumière les problématiques les plus structurantes qui accompagnent l’évocation de la question des langues locales/nationales dans les titres pertinents de publications francophones concernant le Burkina Faso. La cartographie du champ sémantique des langues locales/nationales ci-après permet de mettre en lumière quelques problématiques centrales :

✅ La problématique générale de la cohabitation « langues locales/nationales » - « langue française (langue officielle) » : convivialité et/ou compétitivité ? Le grand linguiste français Claude Hagège a dit cette phrase riche d’enseignement à propos de la domination de la langue anglaise : « imposer sa langue, c’est imposer sa pensée. » Cela doit interpeller, car en effet, tout est dans la langue.

✅ La problématique de la promotion/valorisation des langues locales/nationales : s’y prend-t-on sérieusement ? Comment s’y prendre efficacement à tous les niveaux (politique, culturel, socio-économique, citoyen, etc.) ? Des études visant à mieux connaître les besoins langagiers des populations pour y répondre pertinemment et efficacement ne manquent pas. Il faut s’en saisir. Sans oublier la question de la place et du statut de ces langues.

✅ La problématique de l’introduction des langues locales/nationales dans l’enseignement (éducation/formation). Problématique ancienne. Que l’on songe aux travaux de Feu le Professeur Joseph Ki-Zerbo sur l’éducation endogène. Sur la cartographie, on remarquera la saillance de l’ « Initiative ELAN pour l’Afrique ».
ELAN (« Ecole et langues nationales ») est une initiative émanant de huit pays d’Afrique francophone (Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Mali, Niger, République démocratique du Congo, Sénégal) et de quatre institutions (AFD, AUF, MAE, OIF), visant la promotion de l’enseignement primaire bi-plurilingue en Afrique subsaharienne francophone articulant une langue africaine et la langue française. En effet, on apprend mieux dans sa langue maternelle ou tout au moins en commençant l’école par sa langue maternelle. C’est un acquis scientifique solidement documenté aujourd’hui. Il devient alors difficile d’accepter que l’enfant burkinabè reste un enfant dont la langue maternelle (langue de son environnement immédiat et de ses interactions quotidiennes qui le construisent durant ses quatre premières années de vie) n’est pas enseignée dans le cadre scolaire officiel.

✅ La problématique de l’alphabétisation en langues locales/nationales. Au Burkina Faso, une trentaine de langues locales/nationales sont officiellement utilisées pour l’alphabétisation des adultes. Notons que les premières initiatives d’alphabétisation remontent à 1967. Elles avaient et elles ont toujours pour objectif de permettre une meilleure participation des adultes aux débats citoyens et aux projets de développement personnel et collectif. Cela dit, en dépit des efforts consentis ici et là (Etat, société civile, partenaires internationaux) peut-on vraiment dire que la situation de l’alphabétisation des adultes est satisfaisante aujourd’hui au Burkina Faso ?

✅ La problématique du choix des langues locales/nationales à promouvoir (sur la cartographie sémantique on voit la centralité du triptyque « Mooré/Pulaar (Fulfudé)/Dioula (Bambara) »). Il faut le redire, il importe de bien identifier les besoins langagiers des populations adultes en matière d’alphabétisation afin de leur faire une offre d’alphabétisation qui tienne compte de leurs intérêts pratiques et de leurs réalités socio-culturelles. Il faudra aussi identifier des pistes de solutions efficaces et efficientes en vue de valoriser les langues nationales, en particulier à travers la revalorisation de leur place et de leur statut.

✅ La problématique de la production littéraire, artistique et culturelle de façon générale en langues locales/nationales (livres, littérature, art, culture, musique, cinéma…). Comment nous donner du rêve, du plaisir et nourrir nos esprits, notre imaginaire dans nos langues locales/nationales, celles dans lesquelles nous sommes nés ? Quelle place et quelle importance accordons-nous à nos langues locales/nationales dans nos productions musicales, culturelles, artistiques, etc. ?

✅ La problématique du développement de l’édition en langues locales/nationales : Notons ici la visibilité remarquable du SEDELAN à travers le site abcburkina.net. Le SEDELAN (service d’édition en Langues Nationales du Burkina Faso) basé à Koudougou, est un service né en 1997 à l’initiative d’un Missionnaire d’Afrique, le Père Maurice OUDET, pour répondre aux besoins d’information et de formation du monde rural et des organisations paysannes. Il en faudra beaucoup d’autres initiatives du même genre.

✅ La problématique de l’information/communication en langues locales/nationales. C’est un enjeu démocratique puisque l’immense majorité des Burkinabè ne parle et ne comprend que les langues locales. C’est un enjeu de développement socio-économique car la plupart des populations burkinabè a besoin d’avoir accès aux informations sociales (sur la santé par exemple) et économiques (sur le cours des produits agricoles par exemple) dans les langues locales. On notera à cet égard la prolifération bienvenue des émissions radio et télévision en langues nationales. Elles font désormais partie intégrante des grilles de programmes aux côtés des émissions en français. Mais à l’heure des nouvelles technologies d’information et de communication (NTIC), dont en particulier l’Internet et les réseaux sociaux, il serait bien d’y avoir accès dans nos langues maternelles ! Sur Internet les langues africaines sont représentées, mais avec très peu de contenus de qualité et pas encore en tant que support de communication.

✅ Enfin, la problématique globale de la politique linguistique à définir et à conduire concrètement et durablement. Pour mettre tout cela dans une perspective de réflexion globale, je n’ai pas trouvé mieux que de vous livrer ici l’introduction toujours digne d’intérêt d’une précieuse étude de BOUGMA Moussa (2014) :

« Le Burkina Faso est authentiquement multilingue mais jusqu’à nos jours, le pays ne dispose pas de politique linguistique clairement définie pour stimuler son développement. Toutes les constitutions qui se sont succédées ont réaffirmé le français, adopté depuis la colonisation, comme langue officielle du pays, tandis que la loi qui prévoit de « fixer les modalités de promotion et d’officialisation des langues nationales » n’a jamais été édictée. Les soixante langues locales que compte le pays sont toutes considérées à titre honorifique comme « langues nationales » quels que soient leurs poids démographiques et leurs niveaux de vitalité. Le pays observe ainsi la politique du flou ou de l’évitement autour des questions linguistiques en espérant peut-être que la transition « démo-linguistique » se réalisera toute seule lorsque certaines langues « avaleront » d’autres dans le processus de leur évolution. » Fin de citation.
BOUGMA M., 2014. Dynamique des différentes langues en présence au Burkina Faso : les changements démo-linguistiques opérés au sein de la population burkinabè, 2014, Actes du XVIIe colloque international de l’AIDELF sur Démographie et politiques sociales, Ouagadougou, novembre 2012, 15 p

Ousmane SAWADOGO, Consultant Text Analytics & Analyse sémantique
Kaceto.net