Arrivé au Burkina en 2013, l’ambassadeur des Etats-Unis s’est très vite attiré la sympathie des Burkinabè par sa simplicité, sa proximité avec les préoccupations des populations et son engagement dans l’édification de l’Etat de droit au Burkina

« Je suis fier de tout ce que nous avons accompli ensemble. May God Bless Burkina Faso ! », c’est le contenu du dernier post de Tulinabo Mushingui, désormais ex-ambassadeur des Etats Unis au Burkina, publié lundi soir 7 novembre sur son compte Twitter, quelques minutes avant de monter dans l’avion qui le ramène chez lui. Nommé ambassadeur au Burkina en 2013, le natif de la République démocratique du Congo (RDC) est à la fin de la mission de trois ans que lui avait confiée Barak Obama au « Pays des hommes intègres ». Il devrait poser ses valises au Sénégal dans les prochains mois, sauf si le sénat américain s’y oppose.
A coup sûr, dans sa carrière de diplomate, la séquence Burkina aura été pour lui la plus intense, la plus mouvementée et la plus riche en actions. Le doyen du corps diplomatique à Ouagadougou, l’ambassadeur marocain ne s’y est pas trompé. Le 3 novembre, à l’occasion de la cérémonie d’au revoir organisée dans la résidence du ministre burkinabè des Affaires étrangères, Alpha Barry, il a déclaré que Tulinabo Mushingui « est le maillot jaune des ambassadeurs ». Les Burkinabè garderont de lui l’image d’un homme simple, direct, accessible, humaniste, proche des gens, préférant le contact permanent avec la population aux discussions feutrées dans les salons. C’est un diplomate pas comme les autres qui n’hésite pas à dire tout haut ce que les autres chuchotent. Alors premier ministre, Yacouba Isaac Zida a été bien inspiré en le surnommant en décembre 2015 « Sid Pawalmdé », qui signifie littéralement en langue Mooré, « la vérité ne se chuchote pas », après l’avoir élevé au rang d’Officier de l’Ordre national

C’est en 2013 que le représentant de Barak Obama débarque à Ouaga, en pleine polémique sur la pertinence de réviser ou pas l’article 37 de la constitution pour permettre à Blaise Compaoré d’être à nouveau candidat à la présidentielle de 2015. Pendant que les partisans et les opposants à la révision s’affrontent dans des marches meetings, testent leur popularité dans le remplissage des stades « recto verso avec intercalaires », Tulinabo Mushingui parcourt l’intérieur du Burkina, visite les 13 régions, histoire de découvrir son pays d’accueil, comprendre les préoccupations des populations, apprendre leur culture, l’objectif étant de mieux ajuster la diplomatie américaine et coller aux réalités du Burkina profond.

On l’a ainsi vu dans des postures inhabituelles et les images ont vite fait le tour des réseaux, alimentant les commentaires, soit amusés, soit admiratifs. On se souviendra de l’ambassadeur maniant une spatule dans une marmite sur un feu de bois, du diplomate pompant l’eau pour les femmes dans un village du Burkina, ou encore de cette image où il est en pleine conversation avec une jeune fille vendeuse de fruits sur les artères de la ville de Ouagadougou, sans oublier ses pas de « Binon », la danse traditionnelle en pays gourounsi.
Un ambassadeur qui va dans la rue, se promène au milieu du peuple, voilà le sens de la diplomatie qu’il a voulu imprimer à séjour dans notre pays.
Après l’attentat meurtrier de janvier 2016 à l’hôtel Splendid et au café Capuccino sur l’Avenue Kwamé N’Krumah, il est descendu dans la rue, aux côtés des Burkinabè marchant pour dire non au terrorisme. On est là bien loin de la diplomatie classique, faite de formules alambiquées et de postures jamais explicites.

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Dans ses tournées à la rencontre des Burkinabè, Tulinabo a eu le temps de jauger leur position sur la révision constitutionnelle et c’est en connaissance de cause que toutes convenances diplomatiques mises de côté, il a affirmé qu’il « n’y aura pas de lenga », autrement dit, que le dispositif constitutionnel sur la limitation du nombre de mandats présidentiels sera respecté. Aurait-il été initié à la divination par un sorcier Samo lors de ses pérégrinations ? Toujours est-il que l’histoire lui a donné raison. La volonté de la majorité présidentielle de tenter le coup de force a été fatale à leur chef, contraint de quitter le pouvoir avant la fin de son mandat constitutionnel.
Les 30 et 31 octobre 2014, c’est en observateur engagé et avisé qu’il a suivi le basculement de l’histoire politique du Burkina avec la prise d’assaut de l’assemblée par les manifestants qui l’ont par la suite réduite en cendres. Dès la chute du régime de Blaise Compaoré actée, la mise en place d’une transition la plus courte possible s’est vite imposée comme une urgence, et l’ambassadeur américain a pesé de tout son poids pour qu’il en soit ainsi, balayant du revers de la main les nombreuses critiques sur les erreurs à répétition des autorités de la Transition, conséquences de leur inexpérience dans la gestion des affaires publiques. L’important pour le citoyen américain, viscéralement attaché à l’état de droit, c’est le retour à l’ordre constitutionnel et l’arrivée de nouvelles autorités à l’issue d’élections démocratiques. « Il n’y a pas d’équipe parfaite et l’essentiel est d’accompagner la Transition pour qu’elle organise des élections libres et transparentes » avait-il déclaré.

Quand le 16 septembre 2015, un groupe de soldats de l’ex Régiment de sécurité présidentielle (RSP) conduit par le Gl Gilbert Diendéré, fomente un coup d’Etat, les Burkinabè descendent dans la rue pour dire non au renversement des organes de la Transition. Tulinabo ne se contente pas des simples condamnations de principe ; au contraire, il enjoint les putschistes de déposer les armes et rendre le pouvoir.
Quand, face à la résistance populaire et à l’opposition des autres composantes de l’armée burkinabè, le Gl finit par capituler, c’est vers l’ambassade des Etats-Unis qu’il pense y trouver refuge. Intransigeant, le maitre des lieux refuse de l’accueillir. « L’ambassadeur s’est rangé « au côté du peuple, donc du côté de la vérité, de la justice, de la liberté et de la démocratie », dira plus tard le premier ministre Yacouba Isaac Zida en le décorant. L’opinion applaudit cet ambassadeur courageux qui a pris fait et cause contre la modification de l’article 37 et contre le putsch le plus bête du monde.
Le 3 novembre, il a profité de la cérémonie d’au revoir pour dresser un bilan de son action au Burkina. On a ainsi appris que le nombre de demande de visas est passé de 8000 en 2013 à 20 000 trois ans plus tard, que l’ambassade a contribué à l’édification de 47 mairies et que les forces de défense et de sécurité ont bénéficié du soutien logistique et formation de la représentation diplomatiques américaine à Ouagadougou.
Le 27 octobre dernier, il est allé faire ses adieux au président Faso, Roch Kaboré, occasion pour les deux hommes d’évoquer l’avenir de la coopération américano-burkinabé, notamment l’éligibilité du Burkina au nouveau programme MCC et le moyen pour notre pays de profiter réellement du dispositif AGOA. Les questions de sécurité ont été bien entendu évoquées surtout dans le contexte sous régional marqué par les attaques terroristes et la multiplication des actions de déstabilisation dans la bande sahélo-saharienne.

Tulinabo Salama Mushingui aura été vraiment un ambassadeur atypique, un modèle pour ceux qui rêvent d’embrasser une carrière de diplomate. Pour une des rares fois, le départ d’un ambassadeur est précédé d’une série de manifestations de reconnaissance à son égard. Le président de l’Assemblée nationale, Salif Diallo lui a offert un boubou en souvenir de son engament aux côtés du peuple burkinabè dans sa quête de démocratie. « ll n’y aura pas de lenga pour moi » avait-il confié en juillet dernier alors que plusieurs voix s’élevaient pour demander une rallonge de son séjour. On s’en doutait bien venant d’un homme dont le premier engagement a été de s’opposer au lenga (bonus de mandat) de l’ex président Blaise Compaoré !
A 61 ans, Tulinabo Mushingui est marié et père d’une fille. Bon vent, excellence à Sid Pawalmdé !

Hermann Wendkouni Nazé et Salam Sondé
Kaceto.net