Les USA veulent redevenir un partenaire majeur des pays africains non seulement sur le plan diplomatique, mais aussi économique. Pour la première fois depuis 8 ans, Washington a réuni ses pairs africains à un sommet qui lui a permis de marquer son retour dans le jeu d’influence sur le continent.

Du 13 au 15 décembre derniers, les Etats-Unis ont réuni plusieurs dirigeants africains lors de la deuxième édition du sommet des leaders américano-africains. A l’issue de l’événement qui a enregistré des milliards de dollars de promesses d’investissement de la part des USA, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken (photo) a fait un bilan de la coopération entre son pays et l’Afrique, tout en rappelant les engagements de Washington à l’égard du continent.

Ainsi Antony Blinken explique que les Etats-Unis veulent offrir à l’Afrique une alternative crédible et non contraignante en matière de partenariat au développement. Selon le responsable, les pays africains doivent avoir le choix de leurs propres partenaires sans être obligés de choisir un camp ou l’autre, à une ère où les alliances internationales semblent de plus en plus s’inscrire dans une logique de polarisation entre les Occidentaux (UE, USA) et la « Chine-Russie ».

« L’Amérique ne dictera pas les choix de l’Afrique. Et personne d’autre ne devrait le faire. Le droit de faire ces choix appartient aux Africains et à eux seuls », a déclaré Antony Blinken devant un parterre de journalistes jeudi 15 décembre. « Mais nous travaillerons sans relâche pour élargir leurs choix, et les accords et les investissements que nous avons faits cette semaine ont montré que lorsque les gouvernements, les entreprises et les communautés africaines se voient offrir le choix de s’associer aux Etats-Unis, ils le font », a-t-il ajouté.

Bien qu’il se veuille bienveillant, ce discours tranche pourtant avec l’attitude des pays occidentaux, dont les USA, qui ont souvent fustigé le choix des pays africains de se tourner vers la Chine pour financer leurs développements. Sur fond de rivalité avec l’empire du Milieu, Washington a souvent accusé l’aide chinoise d’avoir des contreparties défavorables pour les pays africains. Ainsi, Pékin a souvent été accusé de vouloir enfermer les pays africains dans un piège de la dette, ou encore de faire affaire avec des pays du continent où les droits de l’homme et la démocratie n’étaient pas respectés.

Plus récemment, c’est la coopération des Etats africains avec la Russie, éternel rival de l’Oncle Sam, qui fait l’objet de critiques de la part des pays occidentaux. Et alors que Pékin et Moscou semblent ouverts à la coopération avec tous les pays africains sans exigences ouvertes sur le choix de leurs autres partenaires ou leurs modes de gouvernance, la réciproque semble difficilement perceptible en ce qui concerne la coopération des USA, de la France ou de l’Allemagne avec l’Afrique.

Des enjeux économiques majeurs

Le sommet organisé par Joe Biden intervient dans un contexte où la place de l’Afrique dans l’offre mondiale de ressources minérales rares et d’avenir tend à s’affirmer sur la scène mondiale. D’après le rapport « Les terres rares en Afrique : des opportunités, mais aussi des risques environnementaux » publié par la plateforme Ecofin Pro de l’Agence Ecofin, plusieurs pays africains préparent aujourd’hui leur entrée sur le marché mondial des terres rares dominé pour l’instant par la Chine. Ces métaux sont utilisés dans la fabrication des voitures électriques et hybrides, panneaux photovoltaïques, sources d’énergie éolienne, puces de smartphones, écrans d’ordinateur portable, tableaux d’affichage des stades, la robotique, l’aéronautique et des lasers médicaux.

« Un zoom sur les ressources de terres rares du continent africain permet de voir une bataille entre l’Occident et la Chine. Les premiers veulent réduire leur dépendance vis-à-vis du géant chinois alors que les derniers veulent accroître leur domination en se positionnant sur davantage de projets. La tendance qui se dégage pour le moment laisse penser à une prédominance d’entreprises occidentales dans le secteur africain des terres rares », souligne le rapport d’Ecofin Pro.

Bien que les Etats-Unis disposent aussi de réserves importantes de terres rares, leur objectif semble être d’avoir une plus grande présence dans la chaîne de production des ressources minières en Afrique. Ainsi, le sommet USA-Afrique a été l’occasion pour les autorités américaines de signer avec la RDC (70% de la production mondiale de cobalt en 2020 et plus de la moitié des réserves de la planète) et la Zambie, un protocole d’accord pour développer, dans la région du copperbelt en Afrique, un partenariat dans la production des minerais stratégiques.

Un retour à plusieurs milliards de dollars

Pour marquer leur retour en force sur le continent, les Etats-Unis ont annoncé plus de 55 milliards $ d’investissement sur les trois prochaines années. Avec plus de 15 milliards $ de nouveaux deals qui ont été signés avec le secteur privé et les nombreux autres accords ont permis à la Maison-Blanche d’annoncer les couleurs quant à la prise d’une part plus active dans les grands projets du continent. Et Washington n’hésite pas à afficher le caractère transparent et « gagnant-gagnant » du partenariat qu’il propose, contrairement aux partenariats proposés par « d’autres » pays.

« Trop souvent, les accords internationaux sur les infrastructures et le commerce sont opaques. Ils sont coercitifs. Ils aboutissent à des projets destructeurs pour l’environnement, mal construits, qui importent ou maltraitent des travailleurs, qui favorisent la corruption et font peser sur les pays une dette ingérable. Nous avons une approche différente. Nous proposons des investissements transparents, de qualité et durables pour la planète. Nous responsabilisons les communautés locales. Nous respectons les droits de leurs habitants. Nous sommes à l’écoute de leur population, de leurs besoins », explique Antony Blinken.

Bien qu’elles insistent sur leur intention de collaborer avec les pays africains sans leur forcer la main sur le choix de leurs partenaires, les autorités américaines semblent pourtant bien s’inscrire dans une logique de rivalité avec la Russie ou la Chine, qu’elles ne veulent pas voir avoir davantage d’influence en Afrique. Cependant, malgré de grandes ambitions affichées les années précédentes, Washington n’a jamais vraiment réussi à devenir un poids lourd en Afrique.

Pour de nombreux observateurs, cette opération « reconquête », qui ne manquera pas de faire réagir la Russie et la Chine, pourrait bien sonner le réveil du géant américain en Afrique, ou être une énième vaine tentative de devenir l’un des principaux partenaires économiques du continent.

« La réalité est que les Etats-Unis et les nations africaines ne peuvent répondre à aucune des aspirations fondamentales de nos peuples - nous ne pouvons résoudre aucun des grands défis auxquels nous sommes confrontés - si nous ne travaillons pas ensemble », a souligné Antony Blinken. Et d’ajouter : « Notre approche consiste donc à déterminer ce que l’Amérique peut faire avec les nations et les peuples africains, et non pour eux ».

Agence ECOFIN