Immense gloire de l’AS Saint-Étienne vient de nous quitter : le Malien Salif Keita s’est éteint à 76 ans, ce 2 septembre à Bamako, des suites de complications respiratoires. Et c’est tout le football mondial qui est en deuil.

Après Georges Bereta, autre ancien Vert décédé cet été, c’est donc au tour de son ami et ex-coéquipier Salif Keita de s’en aller là-haut. Le grand attaquant malien a inauguré en Europe la tradition dorée des grands buteurs africains, celle de George Weah, Didier Drogba, Samuel Eto’o ou Sadio Mané. Il est décédé ce samedi 2 septembre, alors qu’il allait fêter en décembre ses 77 ans.

Cœur vert

« Tête de Keita… Et but ! Merveilleux but de Keita de la tête ! », s’écrie le jeune commentateur Michel Drucker. En sautant plus haut que Franz Beckenbauer, Salif Keita vient d’inscrire, sur un corner de Bereta, le but du 3-0 qui qualifie Saint-Étienne en huitièmes de la Coupe des clubs champions européens. Battue 2-0 à l’aller sur la pelouse du Bayern Munich, l’ASSE accomplit ce 1er octobre 1969 un véritable exploit qui, pour beaucoup de fidèles des Verts, va marquer la première véritable étape du conte de fées stéphanois en coupes d’Europe, dans les années 1970. Et c’est le grand Salif, après un doublé d’Hervé Revelli, qui fige pour l’éternité le score de feu affiché en haut des tribunes d’un Geoffroy-Guichard incandescent.

Son arrivée dans le Forez est restée légendaire. En provenance de Monrovia (Liberia), le jeune Malien de vingt ans débarque à Orly le 14 septembre 1967. Idole dans son pays à l’AS Real Bamako, il a été recommandé au club stéphanois par Charles Dagher, un Libanais installé à Bamako et piqué de l’ASSE. « Domingo » (son surnom), international malien précoce, a atteint la finale des deux premières Ligue des champions africaines, pour deux défaites qui lui font alors subir les foudres des supporters locaux : une première fois avec le Stade malien en 1965, puis l’année suivante avec l’AS Réal de Bamako. Mais comme aucun dirigeant du club forézien n’est venu l’accueillir à l’aéroport parisien, le jeune homme désargenté parvient à convaincre un chauffeur de taxi de l’emmener à Saint-Étienne, après lui avoir montré des lettres émises par le club. Philippe Gastal, mémoire du club et conservateur du Musée des Verts, certifiera que la note de taxi s’élevait à 1060 francs : une sacrée somme pour l’époque !

Entouré de la chaleur de son coach Albert Batteux («  C’est quelqu’un qui m’a tout de suite plu. Il a eu la chance de gérer. Quand je suis arrivé, j’avais moi aussi le besoin d’être protégé. Batteux a vraiment tenu le rôle d’un père  ») et de ses nouveaux coéquipiers, notamment Robert Herbin, Bereta ou Aimé Jacquet, il s’illustre dès son premier match en plantant un but. Doté d’une impressionnante puissance de jambes, il fera merveille à la pointe de l’attaque avec son cher Revelli, grâce à son sens du but inouï, sa vitesse, son adresse, son jeu de tête et un art du dribble qu’il a affûté dans son enfance, au pays, comme il nous le racontait en 2016 : «  Au Mali, je vivais dans un quartier où on avait un terrain de 35 mètres sur 25. Il y avait au moins 20 arbres. Chaque fois que tu dribblais un joueur, tu devais dribbler un arbre. Tout le monde connaît ça à Bamako. Beaucoup de jeunes de mon quartier qui se sont entraînés là-bas ont fini internationaux. C’étaient de très bons techniciens.  » Dès sa première saison en Vert (1967-1968), Salif se met dans la poche l’exigeant public prolétaire de Geoffroy-Guichard : il est alors le « facteur plus » d’une ASSE triomphante avec laquelle il est champion de France en 1968 (doublé coupe-championnat), en 1969 et en 1970 (doublé à nouveau).

Footballeur globe-trotter

En 1971, il finit deuxième au classement des buteurs de D1 avec 42 buts, derrière le Marseillais Josip Skoblar (44 pions), avant de décrocher le Soulier d’argent européen un an plus tard. Son match le plus fou ? Un sextuplé face à Sedan (8-0), le 4 juin 1971 : le record tient toujours dans l’élite hexagonale. En 1972, il est suivi par le Bayern, Anderlecht et l’Ajax. Mais en conflit avec le président stéphanois Roger Rocher, Salif sera recruté par l’OM à l’orée de la saison 1972-1973. Or, suspendu, il doit attendre le 19 novembre 1972 pour disputer son premier match au Stade Vélodrome… contre Saint-Étienne ! Il plante un doublé vengeur (3-1), agrémentant son second but d’un joli bras d’honneur à l’Homme à la pipe. L’attaquant regrettera ce geste («  Quand on est jeune, qu’on a été frustré pendant longtemps, lorsqu’on se libère, on fait des gestes qu’on peut regretter plus tard  »), en souvenir du public et du club stéphanois qui ne l’ont jamais renié : au point d’avoir choisi, en son honneur, la panthère noire comme emblème officiel de l’ASSE. Il sera même nommé ambassadeur à vie du club, le 26 juin 2013.
Il ne restera qu’une saison à l’OM, puis ce sera la Liga à Valence (1973-1976, 26 buts en 82 matchs), et un passage remarqué au Sporting Portugal (1976-1979, 33 buts en 77 matchs, et une coupe nationale en 1978). Enfin, il goûtera aussi à l’aventure américaine aux New England Tea Men (1979-1980, 17 buts en 39 matchs) : «  On jouait sur du gazon artificiel, mais c’était une expérience.  » Étudiant en droit dans sa jeunesse, Salif se reconvertira en cadre marketing d’une banque américaine durant quatre ans avant de rentrer au pays pour investir dans le secteur hôtelier. Gardant un pied dans son cher football, il créera le premier centre de formation de football professionnel du Mali en 1994, le Centre Salif Keita – devenu depuis un club professionnel de D1 malienne – qui verra l’éclosion de son neveu, l’immense Seydou Keita. Salif a été élu en 2005 président de la Fédération malienne de football, restant en poste jusqu’en 2009.

Ballon d’or africain 1970 et vedette des Aigles, il avait connu l’infortune d’être blessé avant la finale de CAN 1972 à Yaoundé, remportée par le Congo-Brazzaville contre son Mali, trois buts à deux ; en demies, le buteur de feu avait planté un doublé contre le Zaïre (4-3). En 1994, Salif avait tenu le rôle de l’entraîneur (Karim) formant un jeune footballeur, dans le film remarqué Le Ballon d’or (du réalisateur guinéen Cheik Doukouré) inspiré… de sa propre vie. Il avait même été ministre délégué auprès du Premier ministre chargé de l’initiative privée dans le gouvernement malien de transition (1991-1992), rappelle l’AFP. Salif Keita était un immense footballeur, un homme droit, humble et respecté : «  Quand je suis arrivé en Europe, les Africains n’avaient que Pelé, Mohamed Ali et Eusébio. Eusébio est né africain (au Mozambique), mais il avait la nationalité portugaise. Pelé était brésilien ; Mohamed Ali américain. Quand je suis arrivé, les Africains étaient fiers et se sont tous reportés sur moi. Je ne pouvais pas les décevoir. Beaucoup d’espoirs reposaient sur mes épaules. C’était un poids très lourd à porter.  » Son professionnalisme et son talent ont pavé la voie vers le football européen à ses innombrables suiveurs africains. La rédaction de So Foot (qui l’avait placé à la sixième place de son top 100 des meilleurs joueurs africains de l’histoire, et à la 60e place de son top 1000 des joueurs passés par le championnat de France) adresse ses condoléances attristées à sa famille et à ses proches. Adieu Salif.

SO Foot