Les événements en cours au Sahel - et à présent en Afrique centrale - ont déclenché un torrent de commentaires et suscité des prises de position passionnées. Le tout révèle l’indigence intellectuelle de ce qui passe aujourd’hui pour l’analyse critique des faits africains.
D’abord, d’innombrables pseudo-experts, illustres inconnus pour la plupart, soudain sortent du bois. D’où viennent-ils, peu sauraient le dire.
Dans leurs prises de parole, les acteurs africains sont quasi-inexistants. Ils n’ont de noms que génériques (les putschistes). Il est rare d’entendre leurs voix, comme s’ils étaient incapables de fournir eux-mêmes les raisons de leurs actions.
Ensuite, leurs actions sont toujours interprétées à l’aune des intérêts étrangers, en particulier ceux de la France. Les Africains seraient-ils donc incapables de défendre des intérêts propres ? Ne seraient-ils que de brèves notes au bas de la page de leur histoire ?
La violence de cet effacement ne suffisant pas, on laisse maintenant entendre que les mouvements démocratiques lancés au début des années 1990 avaient été initiés par l’Europe.
Il n’en est rien. Le soutien à l’innovation démocratique en Afrique n’a jamais fait partie des priorités stratégiques de l’Europe, comme je le démontre dans ce texte publié par ‘Le Grand Continent’ en Février 2022.
Au cours des trente dernières années, l’Europe a aveuglement adoube le “multipartisme sans démocratie” et l’a érigé en norme insurpassable chez nous. C’est ce système qui est désormais rejeté par les Africains.
Les coups d’Etat en cours viennent clore ce bref épisode de notre histoire récente. On peut regretter que ce basculement soit l’œuvre d’hommes armés et non celle des sociétés civiles.
Quant à l’horizon démocratique lui-même, il reste largement ouvert, du moins tant qu’il est question d’une démocratie substantive et non point d’une démocratie électorale. Faire le saut de l’une à l’autre, tel est maintenant le défi.

Achille Mbembé
Philosophe