S’appuyant sur un rapport provisoire d’experts du conseil de sécurité de l’ONU, deux ONG avaient mis en cause Appollinaire Compaoré, d’être impliqué dans des activités illégales qui "alimentent en retour le terrorisme". Le PCA de Planor Afrique vient d’être "blanchi" par les mêmes experts dans leur rapport définitif.

Quelle est l’image que renvoie Apollinaire Compaoré dans l’opinion nationale depuis la publication en février dernier d’une enquête menée par deux ONG, l’OCCRP et le CENOZO, reprise in extenso par nos confrères de l’Evénement, le mettant en cause dans une affaire de trafic de cigarettes et de financement du terrorisme ? Si un sondage devait être mené pour répondre à cette question, il ne fait pas de doute que les résultats seraient catastrophiques pour le PCA de Telecel, la seule compagnie de téléphonie sur les trois que compte le pays, aux capitaux 100% burkinabè.
Apollinaire Compaoré y est décrit comme « un homme réputé », « une des personnes les plus riches du Burkina » qui « sirote du whisky avec l’actuel président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré » et qui « était proche du précédent, Blaise Compaoré ». Le président du patronat burkinabè « supervise un empire commercial qui s’étend sur cinq pays et englobe les assurances, les télécommunications, la banque, les motos et les billets de loterie » et « en 2020, il figurait sur la liste de « Jeune Afrique » des 100 personnalités les plus influentes d’Afrique ».
Ce portrait a priori sympathique, doit cependant être lu et compris au second degré et mis sous le registre de l’antiphrase, que le dictionnaire définit comme « une figure de style qui consiste à employer, par ironie ou par euphémisme, un mot, une locution ou une phrase, dans un sens contraire à sa véritable signification ».
Mais pour être bien comprises, les ONG se sont vite débarrassées de cette figure de style qui pourrait échapper à la compréhension du lecteur. L’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) écrit donc très clairement que « la célébrité » du PCA de Planor Afrique n’est pas due à ses qualités d’homme d’affaires, mais au fait « qu’il est largement connu comme un important trafiquant de tabac en Afrique de l’Ouest, avec une opération qui s’étend sur six pays, de la Côte d’Ivoire à la Libye. Les milliards de cigarettes que Compaoré achemine à travers le Burkina Faso financent des groupes armés et alimentent un conflit en ébullition qui tue des centaines de personnes chaque année ». Sapristi !
Pour étayer ses accusations, l’ONG s’est appuyée sur un rapport provisoire de 95 pages d’un groupe de quatre experts du conseil de sécurité de l’ONU sur le Mali communiqué au Conseil de sécurité le 7 février 2019. Dans ce rapport à mi-parcours, au chapitre « Commerce irrégulier et trafic de cigarettes », ce sont les pages 20 à 23 qui sont consacrées à cette affaire. On y apprend que le 1er juin 2018, 515 boites de cigarettes de la marque American Legend illégalement importées du Niger via la ville frontière de Labézanga, ont été confisquées par les autorités maliennes. Une marchandise qui avait été réceptionnée quelques jours plus tôt à Markoye, au nord-est du Burkina. La marque de cigarette American Legend est produite par la société Karelia Tobacco Compagny INC, basée en Grèce et parmi ses partenaires, figure la société SOBUREX SARL d’Appollinaire Compaoré.
Conformément à la législation en vigueur, les importations de cigarettes par SOBUREX transitaient par les ports de Lomé ou d’Abidjan, puis la marchandise est ensuite escortée par les services de douane jusqu’à Markoye, sa destination finale où elle est stockée sous douane.
Kaceto.net a pu obtenir trois autorisations d’importation délivrées par les services de douanes burkinabè et ivoiriens. Les deux premières, signées par le directeur de la douane burkinabè datent du 24 février 1998 et du 4 janvier 2000 et la troisième du 7 février 2018, délivrée par le DG de la douane ivoirienne. Pour ses opérations d’importations qui nécessitent d’énormes moyens financiers, autour de 200 milliards de F CFA, SOBUREX bénéficie de l’accompagnement d’une vingtaine de banques nationales et internationales. « C’est en toute transparence et dans le respect des lois nationales régissant le commerce de cigarette que nous menons nos activités », explique un cadre de SOBUREX. Des sources douanières ont confirmé à Kaceto.net que l’entrepôt de Markoye est bien sous douane et que ce sont leurs agents qui en assurent la garde. « Les cartouches de cigarettes sont livrées aux clients sous notre contrôle, mais on ne peut pas garantir que les recettes de la vente ne servent pas à des activités illégales », confie un douanier.

D’où vient alors l’accusation formulée par les ONG contre le PCA de Planor Afrique d’être impliqué dans des activités de contrebandes de cigarettes qui alimentent en retour des groupes terroristes ?. Dans leur rapport, les experts ont mentionné le fait qu’un lot de cigarettes de la marque American Legend avait été saisi entre les mains des groupes armés au nord du Mali. Un bout de phrase qui a servi de support pour semer la confusion et déclarer SOBUREX coupable « d’activité de trafic illicite de cigarettes alimentant des groupes terroristes ».
Les deux organisations de la société civile étayent également leur accusation en citant le compte rendu des débats de l’Assemblée nationale en sa séance plénière du 18 mai 2017. « Le plus grand dépôt de tabac du Burkina Faso c’est la ville de Markoye, au Sahel. De Markoye, les importateurs burkinabè du tabac vont à Gao, de Gao, ils vont à Kidal et de Kidal, ils vont en Algérie, en Libye et vers les pays arabes ». Ce procès-verbal aurait fait état « de l’importation de 655 milliards de francs cfa soit d’un milliard d’euros par an de tabac au Burkina Faso » dont les deux tiers sont destinés à être vendus à des groupes de trafiquants de drogue, « qui alimentent en retour le terrorisme ». L’ennui, c’est qu’on ne trouve aucune trace de ces extraits du compte rendu de la séance parlementaire du 18 mai 2017 dans les archives de l’Assemblée nationale burkinabè.
Certes, ce jour-là, les députés ont examiné les travaux de la mission d’information sur la règlementation des produits du tabac mise en place suite à une question orale avec débat du député Michel Badiara adressée au premier ministre « portant sur la non implication du ministère de la Santé dans la prise de l’arrêté conjoint n°2015-356/ MICA/MEF portant institution d’un système d’authentification, de suivi, de traçabilité et de vérification fiscale des produits du tabac fabriqués ou importés au Burkina Faso, basé sur les normes codentify d’une part et d’autre part, sur la nécessité d’une relecture dudit arrêté au regard de ses nombreuses insuffisances ».
Tout en reconnaissant que les industriels du tabac contribuent à l’économie du pays en payant chaque année 50 milliards de F CFA sous forme de taxes fiscales et assises, les députés ont souligné que le tabac tue environ 4000 fumeurs par an et ont appelé à corriger la législation en vigueur afin de contrer le phénomène.
Après plusieurs rapports sur la situation politique et sécuritaire au Mali, la clarification des experts du conseil de sécurité de l’ONU sur ces supposés trafics menés par SOBUREX qui « alimentent en retour le terrorisme » est intervenue le 17 août dernier à la faveur de la publication de leur rapport définitif. « Alors que la Carélie a arrêté les exportations d’American Legend vers Soburex, d’Appolinaire Compaoré après les rapports du Groupe d’experts en 2019, la discussion concernant l’affaire a resurgi suite à la publication, le 26 février 2021, d’un rapport d’une ONG sur le sujet », écrivent-ils, avant de poursuivre : « Le rapport fait référence à tort à l’ONU, c’est-à-dire au groupe d’experts désignant Appollinaire Compaoré comme un contrebandier, ce qui a amené ce dernier à déclarer publiquement que le Groupe d’experts a menti ». Les experts se veulent clairs : « le Groupe d’experts n’a jamais qualifié Apollinaire Compaoré de contrebandier, mais a fait comprendre que soit lui, soit Soburex, fournissait sciemment ceux qui font de la contrebande puisqu’il n’y a pas de marché légal pour American Legend au-delà de Markoye, dans le nord du Burkina Faso, où les cigarettes sont conservées dans un dépôt douanier avant d’être réexportées par les clients de Soburex ». Commentaire ironique d’un commerçant influent à la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina très au fait du dossier : « Ce qu’on demande à Appollinaire Compaoré, c’est d’être un hyper gendarme dans plusieurs pays et d’empêcher tout commerce qui serait illégal. Citant le rapport des experts, il souligne que ces derniers demandent même au patron de Telecel
« d’empêcher la consommation de ces produits dans les pays où ils sont interdits, y compris l’Union européenne sous prétexte qu’il commerce avec une société basée en Grèce ».
Depuis mars 2018, SOBUREX a d’ailleurs stoppé net la commercialisation de la marque American Legend suite au changement de la législation au Burkina, au Togo, au Mali et en Côte d’Ivoire et après que trois de ses clients aient été tués la même année. Conséquence, près de 300 cartons sont toujours en souffrance au dépôt de Markoye.

Joachim Vokouma
Kaceto.net