Insécurité, personnes déplacées internes, flambée des prix des céréales, etc., Sayouba Traoré interpelle une fois de plus sur les vrais problèmes que rencontrent les Burkinabè surtout dans l’arrière-pays !

Je ne crois pas inutile de rappeler ici les vrais problèmes des populations. Ce n’est pas superflu non plus. Je précise que je n’invente rien. Je dis ce que j’ai vu sur le terrain. Tout platement, ce que j’ai vu.
L’insécurité.
J’ai vu des villages vides. Juste quelques cabris qui vont et viennent. Parfois des vieilles personnes. Ces gens vous expliquent leur état d’esprit avec peu de mots. "A mon âge, je ne vais plus me mettre à courir devant quelqu’un. Si c’est la mort, je me suis préparé à l’attendre. Alors aujourd’hui ou demain, ça change quoi ?".
J’ai vu des gens sur les chemins. La veille encore, ces gens étaient fiers de se débrouiller tout seuls face aux difficultés de la vie. Aujourd’hui, ils réfléchissent longuement, douloureusement, puis laissent tomber "Je ne sais pas. Je ne sais plus".
J’ai visité des campements de PDI. On rencontre essentiellement les femmes. Soit parce quelles sont veuves. Soit parce qu’elles cachent les hommes de la maison. Cible première des barbares. Les femmes et les nuées d’enfants se sont constitués en rempart protégeant les hommes. Des hommes calfeutrés aussi, cachant leur honte et leur impuissance.
La famine.
C’est la troisième fois que j’en parle. Peut-être la quatrième fois. Je n’ai pas un souvenir exact. Face au silence opaque des décideurs, on se dit qu’on en a marre de parler sans écho. Puis, on comprend qu’on ne peut pas être fatigué de parler de ces choses. On ne peut pas être indifférent. Si on emmerde les gens, ce n’est pas grave. C’est peut-être cela le sort des témoins.
D’abord, l’insécurité ne permet pas une production sereine. Que ce soit dans les champs, que ce soit dans les bergeries. Et quand on a réuni une maigre récolte, les assaillants utilisent l’arme de la faim. On éventre les greniers. On tue les animaux. Ou on vole le cheptel. Ce n’est pas seulement un butin. Il s’agit de rendre le village invivable. Impossible à vivre. Même une petite journée.
Là où on pouvait se risquer aux champs, la météo a fait des siennes. La saison agricole avait pourtant bien commencé. J’ai pu l’observer en juin dernier. Les cultures ont levé. On s’est pris à rêver. Dieu ne peut quand même pas nous abandonner aussi totalement. Les cultures sont parvenues à l’épiaison. C’est-à-dire au moment où une plante a besoin de toutes ses forces pour faire la graine. Moment crucial. Vital pour toutes les bouches. Alors, il y a eu trois ou quatre pluies qui ont manqué à l’appel. J’ai pu le voir en août. Je suis parti en me disant que, peut-être... C’est ainsi. Même devant l’évidence, on espère toujours. La pluie est revenue. Mais quand il était trop tard. En novembre, j’ai pu constater que l’année serait difficile. Et je l’ai dit. Photo à l’appui.

Le Covid19 est venu compliquer des choses déjà difficiles. Rien qu’à Ouagadougou, on a pu le constater lors de la fermeture des marchés et yaars. J’y étais. Je devais faire un périple chez les éleveurs. J’ai écrit pour interpeller les autorités sur ce que j’ai vu. Beaucoup de nos concitoyens vivent au jour le jour. C’est-à-dire que le petit gain d’aujourd’hui sert à nourrir la famille le lendemain. On ne peut pas se projeter au-delà. On a oublié qu’on pouvait compter les jours jusqu’à 3. Là également, on a réouvert les marchés et les yaars, alors que nombre de personnes ne pouvaient plus se relever de ce coup dur.
Au niveau international, les grands pays producteurs de denrées alimentaires ont décidé d’interdire les exportations. Ce qui est, somme toute, normal. Quand on ne sait de quoi demain sera fait, mieux vaut garder les vivres pour ses propres populations. Il se trouve que nous, nous sommes importateurs de denrées alimentaires. Des ONG et des bureaux d’études ont publié des graphiques savants pour alerter. J’ai relayé ces avertissements auprès de nos autorités. M’ont-ils pris au sérieux ? je ne sais pas le dire.
Par la suite, depuis le Burkina Faso, des gens m’ont écrit à Paris pour signaler la montée des prix des denrées alimentaires dans les quartiers des villes. Ce qui est tout à fait normal. N’importe quel marchand vous le dira. Quand une marchandise indispensable manque, les prix augmentent. Aujourd’hui encore, je reçois ce genre d’appel de détresse venant du Burkina Faso. La presse nationale elle-même parle de ce qui se passe dans les cuisines et les arrière-cuisines.
Est-ce que j’ai raison de vous parler de ces choses désagréables ce matin ? Avec le nombre et l’intensité des fièvres politiques qui occupent toutes les têtes, je ne sais pas. Ce que je sais, de façon certaine, c’est que je m’en voudrais de ne pas parler. C’est ce que vivent nos populations. C’est tout simplement ce que j’ai rencontré sur mon chemin. Convoquer la gêne ou la pudeur, on sent bien que l’esprit ruse, cherche une feinte. Il n’est plus temps.

Sayouba Traoré
Journaliste, Ecrivain
Kaceto.net