Contre les appels à assassiner les Peuls lancés par des prêcheurs en eaux roubles, Sayouba Traoré rappelle à travers son histoire familiale que notre pays est un mélange d’identités qui ont toujours coexisté dans la quiétude sociale.

Mon père est Moaga Musulman (Mais pas du Plateau Central). Sa première femme, ma mère est Nyonyonga (Sawadogo). Les deux épouses suivantes sont Karumba. La quatrième épouse est Silmi-Moaga (Barry).
Nous, la deuxième génération, ma grande sœur a épousé un Yanna, catholique. Mon grand frère a épousé une Suissesse, chrétienne. Moi, j’ai épousé une Nigerienne, musulmane. Ma petite sœur a épousé un gars de Koudougou, musulman. Ça, c’est pour mes frères et sœurs de même mère. Le reste de la fratrie, je ne vous dis pas.
Mes copains d’enfance. Au village, ce sont les 14 ethnies représentées dans la commune de Thiou. Au quartier à Ouahigouya, c’est Mossi et Peul. Plus toutes les ethnies de la Haute-Volta représentées dans le corps des fonctionnaires de la ville.
À Ouagadougou, du collège à l’université, j’ai regardé et il n’y a pas beaucoup de Mossi. Samogo (Bagayoko), Bissa (Guené), Gourounsi (Liliou, Bazie), Peul (Thiam), Dagara (Sansan).
Enfant, personne ne loupait le catéchisme. La joie d’être avec les copains. Et après le catéchisme, il y avait le goûter. Comment pouvez-vous imaginer que notre groupe d’enfants pouvait louper Noël ? On n’avait pas besoin de comprendre. La mélodie de la liturgie suffisait à notre bonheur. La Cathédrale de Ouahigouya, c’était notre maison. Ni le "mongpère", ni la "Masœur poaka", personne ne nous demandait d’où nous venions.
À Paris, j’ai découvert qu’il n’y a pas d’ethnies. Pour faire face aux nombreuses adversités et aux surprises désagréables, nos anciens ont forgé une communauté. Il n’y avait que des Voltaiques. Aujourd’hui, nous ne sommes que des Burkinabè. Et rien d’autre.
Quand nous rentrons au pays, nous avons tendance à nous replier dans une communauté informelle de Burkinabé de France. Il y a des gens parmi nous, jusqu’à ce jour je suis incapable de dire leur ethnie d’origine. Je dis tout simplement "Grand frère, mon frère, ou Fiston".
Mon cas est plus troublant. Mossi, Traoré ne parlant pas un mot de Dioula, du Yatenga, musulman grandi dans un univers protestant (Assemblées de Dieu, AD), journaliste ne restant jamais à la même place, écrivain reconnu (Si si, même si ce n’est pas le cas dans mon propre pays), doyen pour les nouvelles générations de Burkinabé de France, enrôlé dans le milieu associatif par nos anciens, je crois représenter à moi seul de nombreux caractères du Burkinabé de notre siècle.
C’est cette richesse que nos mamans et nos papas ont fabriqué pour nous en 62 petites années d’indépendance. Et ça fonctionne. Et jamais personne n’a eu à s’en plaindre.
Je salue le génie de nos grands-parents et de nos parents. Pensez qu’ils n’ont jamais mis un bout d’orteil dans une salle de classe. Nous, avec nos gros diplômes, avec toute notre prétention ne reposant sur rien, nous sommes incapables de connaître les méandres et les trésors de cette architecture sociale.
Je dis à ceux qui prêchent la foudre et le tonnerre, à ceux qui souhaitent des bourrasques entre nos communautés, à ceux qui marchent vers la guerre ethnique, je n’ai pas envie de renoncer à tout cela. Il vous faudra nous tuer tous. Je ne vais pas renier des amis, des copains, des frères qui ne m’ont rien fait. À part de solides tranches de fou rire.
Si vous tenez à verser du sang, battez-vous entre vous ! C’est plus immédiat, et ça ne dérange pas les gens qui veulent vivre en paix. Soyez assurés, nous danserons à vos funérailles.

Sayouba Traoré
Journaliste, Ecrivain