Suite à la diffusion de deux messages audios sur les réseaux relatifs à la situation sécuritaire dans le Sud-Ouest dont un appelait à "exterminer" tous les complices des terroristes, l’ancien ministre des Affaires étrangères Alpha Barry réagit et tire la sonnette d’alarme et met en garde sur les risques d’une guerre civile qui pourrait embraser la région, voire, le Burkina entier.

La prise de parole sur les questions communautaires n’est jamais aisée. Mais il est des moments où se taire devient coupable, disait un homme politique africain. Les derniers appels à l’extermination des Peuls dans la région du sud-ouest de notre pays le Burkina Faso à travers des audios nous oblige à parler.
En effet, ce que nous entendons à travers certains audios qui circulent est plus qu’inquiétant pour des populations peuls innocentes installées dans cette région. C’est aussi inquiétant pour notre cohésion nationale et notre vivre-ensemble. Curieusement, certains appels sont lancés par des immigrés. Ces derniers trouvent-ils acceptable que si un burkinabè au Canada ou aux États-Unis commet un crime, canadiens et américains doivent exterminer tous les burkinabè vivant dans ces pays ? Je crois que non !
Je pense qu’il faut savoir raison garder dans cette affaire. Le rôle de nous intellectuels n’est pas d’allumer le feu, ni d’encourager la stigmatisation, les représailles et les exactions contre une communauté. C’est une grosse erreur que de penser qu’il faut aller s’en prendre à des innocents. Parce que partout où les gens ont pensé que c’était la solution, ils ont plutôt plongé leur région et leurs villages dans des drames.
Ce que nous avons constaté jusque-là, c’est que voulant se faire les justiciers de ces populations victimes d’autres populations en l’occurrence en voulant se faire les justiciers des peuls, les terroristes concentrent leurs efforts sur cette zone qui devient sinistrée à jamais.
Certes, nos FDS font de gros efforts jusqu’au prix de leur sang. Nous leur rendons hommage pour ces efforts et ces sacrifices mais savons qu’elles éprouvent des difficultés énormes dans la sécurisation de l’ensemble du pays. Nous devons continuer à les aider à faire un bon travail.
Sinon les mauvais exemples sont nombreux. Qu’est devenu Yirgou pour ne prendre que cet exemple. Il n’y a plus véritablement d’âme qui vive dans toute cette zone du centre-nord de notre pays depuis les tueries de janvier 2019. Les terroristes se sont organisés et ont semé la terreur chassant tout le monde. Nous avons tous pleuré des dizaines de FDS tombées dans cette zone à travers embuscades, explosion de mines artisanales, attaques de détachements. Aujourd’hui, Yirgou, Barsalogho, Foubé, Kelbo, etc toute cette zone n’est que l’ombre d’elle-même malgré l’installation de détachements militaires... et malgré les kolgweogos puis les VDP. Depuis lors, on n’a que des villages fantômes avec des centaines de milliers de déplacés à Kaya, à Barsalogho.
Donc, il nous faut conjuguer nos efforts pour ne pas créer des facteurs aggravants de la crise. C’est aux autorités, aux intellectuels que nous sommes et aussi aux fils de la région de faire comprendre que ce soit au Mali ou ailleurs au Burkina, s’en prendre aux populations peuls ne fait qu’aggraver la situation. Une fois qu’on aura exterminé les populations peuls (Dieu nous en garde et je touche du bois) dans leur campement, comment ça va se terminer ? Ceux qui auront commis ces forfaits auront-ils la paix après ! Je ne crois pas parce partout où on a choisi cette solution, les conséquences ont été plus graves. Y a t’il la paix et la sécurité aujourd’hui à Kaïn après la tuerie de 146 villageois peuls en février 2019 ? A Barga après l’extermination de 43 villageois peuls en mars 2020, etc ? Non ! Donc faisons la part des choses et ayons une approche plus lucide.
Lors de la visite du Président Mohamed Bazoum en octobre 2021, la partie burkinabè pendant la séance de travail entre les deux délégations à la Presidence du Faso, à eu droit à un exposé sur l’approche nigérienne avec une hypothèse de travail qui se résume à ceci : Si la majorité des terroristes sont peuls, plus de 90% des peulhs ne sont pas terroristes. Donc, il faut en tenir compte dans la gestion de la crise que nos pays traversent.
Mieux, il faut comprendre plutôt que la majorité des peuls sont victimes du terrorisme, pour ne pas dire que les peuls sont les premières victimes du terrorisme.
Combien sont-ils qui ont également fui leurs villages et leurs terres ? Combien sont-ils qui ont perdu leur bétail, la principale ressource économique de ces populations ? Combien sont-ils morts ? Le recensement des victimes du drame de Seytenga a fait ressortir que 90% des 86 victimes déclarées sont peuls. Et pourtant des audios ont circulé au lendemain de la barbarie de Seytenga pour appeler à s’en prendre aux peuls. Heureusement que les autorités politiques et coutumières se sont levées pour dire non. Il faut saluer leurs réactions. Cela doit continuer.
Il faut donc, au risque de me répéter, avoir une certaine lucidité dans l’approche, sinon on va plonger la région du sud-ouest comme d’autres régions de notre pays où on a choisi la stigmatisation, les représailles et les exactions comme solution.
En 2019, sentant le danger qui planait sur l’ensemble de notre pays au regard de l’évolution de la menace terroriste, j’ai personnellement pris mon bâton de pèlerin pour sensibiliser nos populations et prôner la cohésion sociale et le vivre-ensemble. Je me suis rendu à Po, Léo, Tougan, Dedougou, Tenkodogo, Djibo, Dori, Bobo-Dioulasso, Banfora, Diébougou, Gaoua. Cette initiative personnelle avec d’autres bonnes volontés venait de la conviction qu’en tant qu’intellectuel, autorité (j’étais ministre) ou leader peul, il fallait parler à nos populations, avec un langage franc, sur les dangers qui nous guettaient à savoir le terrorisme et ses conséquences sur la cohésion sociale et le vivre-ensemble. Des voix se sont élevées, même au plus haut niveau, pour dire que j’étais dans une opération politique ou de promotion personnelle. Et pourtant c’est ce travail qu’il fallait faire depuis le début et que nous devons tous continuer de faire.
Aujourd’hui, il revient donc aux autorités politiques, au fils des régions concernées intellectuels et coutumiers et à tous les leaders d’aller sur le terrain, de rencontrer les populations, de mener des actions fortes pour prôner la cohésion et le vivre-ensemble qui sont le ciment de notre nation. Sinon le risque d’une vraie guerre civile n’est pas loin. On doit être convaincu que ça n’arrive pas qu’aux autres.
Dieu nous en garde et nous garde ensemble !

Alpha Barry
Ancien Ministre