En cinq ans de présence, la société militaire privée a réussi à infiltrer et à contrôler la chaîne de commandement militaire de la République centrafricaine ainsi que ses systèmes politiques et économiques. Un rapport détaille son mode opératoire qui repose sur des campagnes militaires extrêmement violentes qui visent à soumettre la population par la terreur.
Avec le soutien du président Faustin-Archange Touadéra, le groupe paramilitaire russe Wagner a pénétré le cœur du pouvoir en République centrafricaine et installé son emprise économique en répandant intentionnellement la terreur et la peur, selon un rapport publié le 27 juin par l’organisation d’investigation anti-corruption The Sentry, soutenue par l’acteur George Clooney.
Pour analyser le mode opératoire de cette société militaire privée, le rapport « Architects of Terror The Wagner Group’s Blueprint for State Capture in the Central African Republic », s’appuie sur des photos, des images satellites, des vidéos et documents ainsi que sur des entretiens menés avec plus de 45 personnes, dont 11 membres des Forces armées centrafricaines (FACA) et de groupes armés déployés dans des opérations militaires gouvernementales, des victimes et des sources bien informées en matière de sécurité et de défense.
Tout a commencé par une rencontre secrète qui a eu lieu en octobre 2017 à Sotchi, en Russie, entre une délégation centrafricaine et le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. À cette occasion, Moscou et Bangui ont discuté de trois composantes principales concernant l’engagement de la Russie en Centrafrique : un soutien politique, une assistance en matière de sécurité et des opérations minières.
À l’issue de la réunion, la décision a été prise d’envoyer en Centrafrique des instructeurs russes, appelés à cette époque « spécialistes armés d’origine étrangère ». Sewa Security Services, une société enregistrée en Centrafrique affiliée au groupe Wagner, a ainsi été créée en novembre 2017.
En janvier 2018, la Russie a livré à l’aide d’un avion militaire russe, la première cargaison d’armes en plus de cinq instructeurs militaires et 170 civils russes, qui se sont avérés être des mercenaires de Wagner. Le pays était alors ravagé par 20 ans de crises politico-militaires et de cycles de conflits armés sanglants pour lesquels l’ONU et les pays occidentaux ne parvenaient pas à apporter des solutions adéquates.
La tentative du coup d’Etat menée le 13 janvier 2021 par la Coalition des Patriotes pour le Changement (CPC), une coalition de groupes armés dirigée par l’ancien président et putschiste François Bozizé, a marqué un tournant dans la stratégie militaire du groupe Wagner dans le pays. Les autorités russes ont annoncé le déploiement de 900 membres supplémentaires du groupe Wagner, avant de porter le nombre total des mercenaires à environ 2600 à fin 2021. Une armée parallèle d’environ 5000 hommes a été aussi constituée, formée et déployée contre les milices de la CPC et leurs sympathisants présumés. Certaines communautés comme les Gbaya et les Peuls ont été particulièrement ciblées par les FACA et les mercenaires du groupe Wagner.
La terreur comme arme de guerre
L’enquête de The Sentry, étayée par des rapports de l’ONU, a également révélé que la Russie avait livré des armes de guerre qui n’étaient pas apparues auparavant dans le conflit centrafricain, notamment des hélicoptères de combat, des avions, des véhicules terrestres, des drones de reconnaissance et des armes lourdes, y compris des canons de 14,5 mm.
Des sources bien informées ont aussi révélé que le groupe Wagner, dont les hommes ont « activement participé aux opérations de combat sur le terrain » utilisait des mines terrestres dans le pays. Les opérations militaires menées par les FACA et les mercenaires de Wagner se sont soldées par des attaques aveugles contre des civils perçus comme des ennemis de M. Touadéra et de la Russie. Un groupe d’experts de l’ONU a fait état « d’exécutions sommaires massives, de détentions arbitraires, de violences sexuelles, de torture pendant les interrogatoires, de disparitions forcées, de déplacements forcés de la population civile, de ciblage indiscriminé d’installations civiles, de violations du droit à la santé et d’attaques croissantes contre les acteurs humanitaires ».
L’évolution du mode opératoire de la CPC vers la guérilla et la chute des effectifs de Wagner suite au déclenchement de la guerre en Ukraine, ont poussé l’entourage proche de M. Touadéra et les mercenaires russes à former des milliers de miliciens.
Les instructeurs du groupe Wagner ont dispensé des formations militaires d’une durée comprise entre un à six mois qui comprenaient une formation aux armes à feu, du combat au corps à corps et des techniques d’espionnage, d’interrogatoire et de torture.
Un membre de la garde présidentielle qui a reçu cette formation a déclaré à The Sentry : « Formation commando, formation interrogatoire, technique agressive, torture, violence. C’était un instructeur russe qui donnait la formation ». Pour obtenir des informations sensibles de leurs ennemis, plusieurs soldats et miliciens entraînés ont expliqué qu’on leur avait appris à couper les mains, les doigts et les jambes ; arracher les ongles ; utiliser des couteaux pour couper la chair ; étrangler ; jeter du carburant et brûler des gens vivants ; organiser des enlèvements ciblés ; et plus.
Un vif intérêt pour les sites miniers
Alors que les commandants de Wagner et le président Touadéra ont justifié la présence du Groupe Wagner comme un moyen de traquer les groupes rebelles armés et de protéger le régime actuel, le rapport révèle que la société militaire privée russe avait pris le commandement et le contrôle des forces armées gouvernementales, leur ordonnant de tuer des femmes et des enfants, de déployer des techniques de torture et de mener des campagnes de « nettoyage » pour massacrer des communautés entières susceptibles d’entraver les opérations d’extraction d’or et de diamant à l’échelle industrielle par le groupe Wagner. Dans des entretiens avec The Sentry, des soldats impliqués dans ces activités ont témoigné que l’intention de Wagner est de créer la terreur et d’instiller la peur, non seulement parmi les rebelles, mais dans l’ensemble de la population et parmi les soldats et les miliciens sous son contrôle.
Conséquence : 5,6 % de la population centrafricaine est décédée en 2022, ce qui représente « plus du double des estimations pour tout autre pays dans le monde », selon un récent rapport de l’Université Columbia, qui a directement lié l’ampleur de cette mortalité à la présence du groupe Wagner.
Parallèlement aux campagnes militaires brutales, le groupe Wagner a montré un vif intérêt pour les minerais de la Centrafrique, ciblant les sites miniers et menant de violentes attaques pour chasser les civils et en prendre le contrôle. « Les sites miniers sont des cibles prioritaires. Nous ne faisons que nettoyer, pas besoin de parler, nous tuons seulement », a déclaré à The Sentry un membre de la garde présidentielle déployé dans le cadre d’opérations militaires.
Les sociétés minières affiliées au groupe Wagner, principalement Lobaye Invest, Midas Ressources et Diamville, ont obtenu des licences minières et des autorisations d’exportation. La société militaire a également utilisé ses réseaux transnationaux en Centrafrique, au Soudan, au Cameroun, à Madagascar et en Russie pour construire un site de production industrielle dans le secteur aurifère qui échappe à la surveillance nationale et internationale.
Pour contrer les actions « malveillantes » de Wagner en Centrafrique et au-delà , le rapport précise que la communauté internationale, y compris les États africains, dispose de divers outils, dont l’établissement d’une coalition similaire à la Coalition mondiale contre Daech, en se concentrant particulièrement sur les flux de financement du groupe, le mouvement des combattants étrangers et la propagande ainsi que la désignation de la société militaire privée russe comme organisation terroriste.
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