Quelle peut être la contribution du privé dans la prise en charge des élèves déplacés internes (EDI) ? C’est sur cette question qu’ont planché les 28 et 29 août 2023 dans les locaux du Secrétariat permanent du plan stratégique de l’éducation de base et de l’éducation secondaire à Ouagadougou, les représentants des faitières de l’enseignement
privé burkinabè, les partenaires sociaux du système éducatif, les responsables administratifs dans les zones à fort défi sécuritaire et bien entendu la secrétaire technique de l’Education en situation d’urgence (ST-ESU) et ses collaborateurs, organisatrice de la rencontre.
Après deux jours de débats parfois tendus, les représentants des faitières ont pris la résolution d’accueillir les EDI dans leurs structures d’enseignement. Ils souhaitent que désormais l’accueil des EDI dans toutes les structures éducatives privées soit obligatoire, qu’un protocole d’accord entre le MENAPLN et les faîtières de l’enseignement privé soit signé pour faciliter la gestion des EDI dans les structures de l’enseignement privé. Ce n’est pas tout. Ils recommandant une relecture du décret No 2019-306/PRES/PM/MINEFID/MFPTPS/MDNAC portant sur les modalités d’indemnisation de l’agent du public ayant subi des préjudices dans l’exercice ou en raison de l’exercice de ses fonctions lors d’attaque terroriste, pour prendre en compte l’agent du privé des structures éducatives.
Les conclusions de ces deux jours de réflexions permettront-elles au ministère en charge de l’Education nationale de mieux affiner la stratégie nationale de prise en charge des Elèves en situation d’urgence dont le nombre était estimé à plus d’un million en fin mars 2023 ? C’est en tout cas le souhait de Daouda Ben Salam Ouédraogo, promoteur du Lycée privé Wendlamita de Ouahigouya et coordonnateur de la région du Nord de l’Union nationale des établissements d’enseignement privé laïc (UNEEPL)

Le gouvernement compte associer l’enseignement privé dans la prise en charge des élèves déplacés internes. Comment appréciez-vous cette démarche ?

Nous sommes effectivement réunis à Ouagadougou pour un atelier initié par le Secrétariat technique de l’Education en situation d’urgence (ST-ESU) qui, dans la réalisation de son programme d’action veut prendre en compte le privé dans la résorption des élèves déplacés internes (EDI).
Cette structure du ministère de l’Education nationale, de l’alphabétisation et de la promotion des langues nationales (MENAPLN) est en train de dérouler sa stratégie nationale pour la résolution des problèmes liés au déplacement des élèves et qui a commencé depuis 2019 et s’étale jusqu’en 2025. Mais c’est maintenant, en 2023, qu’elle associe le privé pour trouver une solution, certainement en tirant les leçons de l’expérience passée. Cela veut dire très clairement que le privé n’a pas associé ni à la conception, ni à la mise en œuvre de la stratégie depuis 2019.
On peut donc dire que depuis le début, nous sommes des partenaires morts alors que nous sommes aussi victimes de cette situation sécuritaire.
D’autant qu’une phase de la mise en œuvre de la stratégie consiste à affecter les élèves déplacés internes dans les établissements publics dans les zones où règne la sécurité.
Une note du ministère de l’Education nationale instruit tous les chefs d’Etablissements publics dans les chefs lieu de région et de province d’accueillir obligatoirement les EDI qui se présentent à eux dans la mesure où leurs capacités d’accueil le leur permettent.
Sur le terrain, le ST-ESU construit des abris temporaires pour accueillir les élèves déplacés internes, mais curieusement, le privé qui dispose pourtant de salles parfois à moitié occupées, n’a aucunement été associé. Il faut savoir qu’en raison de l’insécurité qui frappe plusieurs zones, les moyens des parents d’élèves ont diminué et ils n’arrivent plus à assurer l’instruction de leurs enfants dans les structures privées. Par ailleurs, vu que les établissements ont l’obligation d’accueillir les EDI même s’ils n’ont pas de documents, cela incite certains élèves à migrer vers les établissements publics en se présentant comme des EDI, ce qui est faux. Du coup, nous avons des problèmes d’effectifs dans nos écoles et l’Etat ne nous envoie pas d’élèves. En revanche, le même Etat trouve les moyens de venir louer nos classes pour y donner des cours alors que nous les avons fermées par manque d’élèves !
Résultat, nous avons des sites dans nos écoles qui sont devenus des concurrents puisque finalement, nos effectifs migrent vers ces établissements. Cela pose de gros problèmes à notre niveau et c’est pourquoi nous saluons l’organisation de ces journées de réflexion en espérant qu’elles permettront d’améliorer la stratégie qui va être prise pour pouvoir intégrer la résolution de ces problèmes.

Même si l’arrêté du ministère n’enjoint pas le privé, accueillez-vous quand même des EDI qui se présentent devant vos établissements ?

Tout élève qui se présente devant nos établissements, nous avons l’obligation de l’accueillir sauf qu’on ne sait pas à qui adresser la facture. Du coup, chaque responsable d’établissement doit prendre des initiatives avec des associations ou des ONG pour accompagner l’élève déplacé interne, sachant que les structures déconcentrées de l’Etat ne font rien pour nous aider. C’est un problème que nous allons soulever lors des discussions afin qu’on puisse prendre en prendre en charge les frais de scolarité dans les établissements privés.
Et pour montrer notre disponibilité à accompagner l’Etat dans la scolarisation des enfants du Burkina, nous avons remis le 24 juin dernier des bourses d’études de plus de 2500 places à l’Etat depuis le préscolaire et jusqu’au secondaire. Nous avons une autre contribution pour le supérieur que nous sommes en train de préparer, car l’UNEPEL embrasse les cinq ordres d’enseignement : le préscolaire, le primaire et le post primaire le secondaire et le supérieur. C’est une contribution du privé laïc qui est un regroupement de plus de 1500 établissements, les autres étant la Fédération des associations islamiques du Burkina (FAIB), la Fédération des églises et missions évangéliques (FEME), le Secrétariat national de l’enseignement catholique (SNEC) et l’ Alliance des établissements scolaires et universitaires des évangélistes du Burkina ( AESEB ).


L’Etat traite-t-il ces différentes fédérations sur le même pied d’égalité ?

Rires ! Ca, il faut poser la question à l’autorité ! Mais nous, on se bat pour être traités sur le même pied d’égalité. Les autres faitières ont leurs relations avec l’Etat, mais ce que nous recevons chaque année de l’Etat, c’est une subvention qui était consistante au moment où on signait la convention en 2007-2008. Le montant de la subvention était de 250 millions de F CFA avec environ 700 établissements à l’époque. Un soutien qui nous aidait effectivement à régler pas mal de problèmes. Sauf que nous sommes passés aujourd’hui à 1500 membres avec le même montant !
Par contre, nous savons que d’autres fédérations reçoivent plus que nous en termes de subvention. Certaines ont même été constituées dans un passé récent, mais très rapidement, elles bénéficient d’une enveloppe plus conséquente que nous et nous nous posons des questions sur ce qui explique cela ! Pour nous, à défaut d’avoir l’égalité, nous souhaitons qu’il y ait l’équité dans le traitement des partenaires de l’Etat.

Qu’en est-il de la dette de l’Etat vis-à-vis des établissements privés conventionnés ?

A l’UNEEPL, nous pouvons dire que cette question a été réglée à 100%.
Depuis son arrivée, le nouveau ministre Joseph André Ouédraogo a fait des efforts dans ce sens si bien qu’en début d’année, il a résorbé l’ensemble des arriérés de frais de scolarité que l’Etat nous devait depuis 2019.
Et les frais de scolarité 2022-2023 ont été payés en juin-juillet dernier ; à la date d’aujourd’hui, nous n’avons presque plus de dette avec l’Etat.
C’est une première que nous saluons à sa juste valeur.

Qu’attendez-vous de cet atelier ?

Nous souhaitons être considérés comme un vrai partenaire de l’Etat dans la mise en œuvre de la stratégie de prise en charge des élèves déplacés internes. Si nous avions été associés dès sa conception, il est évident qu’on n’allait pas orienter l’action de l’Etat vers la construction d’abris temporaires pour les EDI parce qu’il y a des salles qui existent dans le privé. Il faut d’abord épuiser les places disponibles dans les établissements privés avant d’envisager la construction d’abris temporaires.
Pourquoi laisser des abris normaux offrant de meilleures conditions de travail pour construire des abris temporaires ? Il faut qu’on réoriente les priorités pour réussir l’absorption des EDI dans notre pays.

Interview réalisée par Joachim Vokouma
Kaceto.net